Suisse-UEAccord-cadre: le Conseil fédéral jette l’éponge
C’était dans l’air depuis ce week-end, c’est confirmé: le gouvernement met un terme aux négociations sur l'accord institutionnel avec l’Union européenne. Il poursuivra la voie bilatérale.

- par
- Christine Talos
Cette fois c’est fini. La Suisse tire un trait sur ses relations avec l’Union européenne. Pas moins de trois conseillers fédéraux, dont le président de la Confédération Guy Parmelin, le chef des Affaires étrangères Ignazio Cassis et la ministre de la Justice Karin Keller-Sutter sont venus annoncer mercredi que le gouvernement avait décidé de mettre un terme aux négociations avec l’UE en vue de la signature de l’accord institutionnel, dit aussi accord-cadre. La présidente de la commission européenne, Ursula von der Leyen a été informée par écrit en ce sens ce mercredi. «Mercredi noir», «aveu de faillite» ou «meilleure issue», les réactions ont plu de partout.
«Les conditions nécessaires à la conclusion de l'accord ne sont pas réunies», selon les dires du Conseil fédéral. Les discussions avec l’Union européenne (UE) n’ont pas permis d’aboutir aux solutions dont la Suisse a besoin. Trois points ont achoppé: les aides d'Etat, les mesures d'accompagnement dont la question du dumping salarial, et la directive relative aux droits des citoyens de l'UE. Or ces points étaient essentiels pour la Suisse. «Sans les améliorations souhaitées par Berne, il aurait été impossible de garantir l’effet de protection des mesures d’accompagnement actuelles», a-t-il expliqué.
«Nous avons fait une pesée d'intérêts», a expliqué Guy Parmelin. «Cet accord n’aurait pas pu être présenté avec succès au Parlement et au peuple», a-t-il affirmé. «Le point d’achoppement des différends avec l’UE est l’interprétation divergente de la libre circulation des personnes. Pour la Suisse, il s’agit essentiellement de la libre circulation des employés et de leur famille; pour l’UE, il s’agit de la libre circulation de toutes les citoyennes et de tous les citoyens de l’Union européenne», a expliqué Ignazio Cassis.
Le Tessinois a expliqué que la reprise de la directive relative au droit des citoyens de l’UE dans l’accord sur la libre circulation aurait pu avoir des conséquences lourdes notamment sur l’aide sociale. Cela équivaudrait aussi à «changer de paradigme au niveau de la politique d’immigration qui est largement acceptée par la population et les cantons», ont précisé en Guy Parmelin et Ignazio Cassis.
Les accords existants doivent toutefois être maintenus, estime le Conseil fédéral. « Il est dans l’intérêt de la Suisse comme de l’UE de poursuivre la voie bilatérale, qui a fait ses preuves, et ce même en l’absence d’accord institutionnel », a souligné Ignazio Cassis. Cette coopération se fonde entre autres sur quelque 120 accords bilatéraux, a-t-il rappelé.

Porteuse d'espoir, la rencontre entre le président de la Confédération Guy Parmelin et la présidente de la Commission européenne Ursula von der Lyen en avril n'a au final pas permis de débloquer les différends.
La Suisse, un partenaire «fiable et engagé» pour Bruxelles
Même sans accord institutionnel, la Suisse reste pour l’UE un partenaire fiable et engagé, a souligné le Tessinois. Elle contribue de manière constructive à un partenariat fonctionnel, qui demeure dans l’intérêt des deux parties, souligne-t-il. Le Conseil fédéral va ainsi s’engager pour débloquer rapidement au Parlement le milliard de cohésion destiné au pays de l’Est, et cherchera à finaliser au plus vite le protocole d’entente avec l’UE.
La décision de ne pas conclure l’accord institutionnel met fin à un processus de négociations de sept ans. Le Conseil fédéral est conscient que l’absence d’accord implique des inconvénients. Pour limiter les conséquences négatives, il a commencé il y a un certain temps déjà à planifier et à mettre en œuvre des mesures d’atténuation.
En juin 2019, il a activé la mesure visant à protéger l’infrastructure boursière suisse, en réaction à la décision de l’UE de ne plus accorder l’équivalence boursière à la Suisse. Pour anticiper la non-actualisation du chapitre de l’accord sur la suppression des obstacles techniques au commerce consacré aux dispositifs médicaux, le Conseil fédéral a décidé de mesures unilatérales visant à garantir la sécurité de l’approvisionnement ainsi que la surveillance du marché.
Dialogue politique et agenda commun
Le Conseil fédéral va proposer à l’UE l’ouverture d’un dialogue politique et l’élaboration d’un agenda commun dans le but de définir des priorités dans leur coopération future. Il s’efforcera aussi de trouver avec Bruxelles des solutions aux problèmes concrets, afin d’éviter au mieux les frictions dans l’application des accords bilatéraux.
Parallèlement, la Conseil fédéral a chargé le département fédéral de Justice et police d’adapter de manière autonome le droit suisse au droit européen dans le but de stabiliser les relations bilatérales. Mais Karin Keller-Sutter a été claire: l'adaptation de certaines lois suisses ne signifie pas une soumission au droit européen. «Ces adaptations doivent faire sens et correspondre à l'intérêt national».
Pas de mercredi noir
Devant la presse, Guy Parmelin a refusé de parler d’un «mercredi noir», comme l’a tweeté le conseiller national Roger Nordmann (PS/VD). Pour le président de la Confédération, il s’agit surtout d’un «nouveau départ dans notre histoire avec l'UE» et d’envoyer un signal clair à Bruxelles pour développer des accords d’une autre manière. «Nous sommes au centre de l'Europe et nous voulons coopérer», a-t-il rappelé.
Karin Keller-Sutter a abondé : «on ne tombe pas dans un trou noir», a-t-elle souligné. «La Suisse n'est pas membre de l'UE mais aucun peuple de l'Europe n'a voté autant sur des sujets européens et a autant de fois voté oui. La dernière fois, c'était sur la poursuite de la libre circulation des personnes», a-t-elle également rappelé.
«Un partenaire fiable et engagé»
Même sans accord institutionnel, la Suisse reste pour l’UE un partenaire fiable et engagé, a rappelé de son côté Ignazio Cassis. Elle contribue de manière constructive à un partenariat fonctionnel, qui demeure dans l’intérêt des deux parties, souligne-t-il. Le Conseil fédéral va ainsi s’engager pour débloquer rapidement au Parlement le milliard de cohésion destiné au pays de l’Est, et cherchera à finaliser au plus vite le protocole d’entente avec l’UE.
En outre, le Conseil fédéral va proposer à l’UE l’ouverture d’un dialogue politique et l’élaboration d’un agenda commun dans le but de définir des priorités communes dans leur coopération future. Il s’efforcera aussi de trouver avec l’UE des solutions aux problèmes concrets, afin d’éviter au mieux les frictions dans l’application des accords bilatéraux.
Parallèlement, la Conseil fédéral a chargé le département fédéral de Justice et police d’analyser l’opportunité d’adapter de manière autonome le droit suisse dans le but de stabiliser les relations bilatérales. Mais Karin Keller-Sutter a été claire: l'adaptation autonome de certaines lois suisses au droit européen ne signifie pas une soumission au droit européen. «Ces adaptations doivent faire sens et correspondre à l'intérêt national».
L’UE regrette
L’accord était réclamé depuis plus de dix ans par l’UE, mais les négociations n’ont commencé qu’en 2014. Plusieurs points continuaient de poser problème à Berne, mais Bruxelles refusait tout compromis supplémentaire depuis fin 2018.
La Commission européenne a dit «regretter» mercredi la décision de la Suisse de mettre un terme aux négociations sur l’accord-cadre institutionnel qui doit régir leurs relations bilatérales. «Nous regrettons cette décision, étant donné les progrès réalisés au cours des dernières années pour faire de l’accord-cadre institutionnel une réalité», souligne l’exécutif européen dans un communiqué.
Le champ d’application de cet accord-cadre aurait été limité aux cinq accords d’accès au marché existants (libre circulation des personnes, transports terrestres, transport aérien, obstacles techniques au commerce et agriculture), ainsi qu’aux futurs accords d’accès au marché (par exemple dans le domaine de l’électricité). Cet accord institutionnel est sensible pour la Suisse, car l’UE avait fait de sa signature la condition préalable à la conclusion de tout nouvel accord bilatéral d’accès à son marché.
L’UE, principal partenaire de la Suisse
L’Union européenne et ses 27 États membres représentent le principal partenaire de la Suisse. À l’inverse, la Suisse figure parmi les principaux partenaires économiques de l’UE, rappelle le Conseil fédéral. Elle occupe le 4e rang en termes d’échanges de biens, le 3e en termes d’échanges de services et le 2e en termes d’investissements, sans compter l’excédent commercial de dizaines de milliards d’euros régulièrement enregistré par l’UE. En outre, précise Berne, quelque 1,4 million de citoyens de l’UE vivent en Suisse, auxquels s’ajoutent 340’000 frontaliers ainsi que les personnes de l’UE et de l’AELE soumises à l’obligation d’annonce, dont le nombre dépasse en général largement les 200’000 par an.