Football: Binationaux: un discours insupportable à entendre

Actualisé

FootballBinationaux: un discours insupportable à entendre

Le secrétaire général de l'ASF a émis l'idée que les joueurs binationaux ne soient plus sélectionnés en équipe de jeunes. Une idée, à notre avis, à combattre fermement.

Tim Guillemin
par
Tim Guillemin

Il est indéniable que Granit Xhaka avait plus envie de courir lorsqu'il a affronté la Serbie lors de cette Coupe du monde que lors des trois autres matches. Le surplus de motivation du milieu de terrain albanophone était évident, il pouvait se ressentir depuis la tribune et ses prestations ternes, mot choisi, lors des trois autres matches ont énervé plus d'un supporter suisse.

L'équipe de Suisse, dans son ensemble, a manqué d'émotions face à la Suède, sortant sans gloire d'un tournoi où d'autres équipes ont brillé par leur rage de vaincre. Pourquoi l'Uruguay, le Pérou et d'autres arrivent-ils à transmettre des sentiments? Pourquoi Emil Forsberg pleure-t-il en conférence de presse, submergé par l'émotion de gagner en équipe, alors que le sentiment que donnent les Suisses est surtout celui d'avoir voulu partir en vacances le plus vite possible? A ces questions-là, Alex Miescher a choisi d'apporter un élément de réponse: parce que la Suisse compte des binationaux. Et ce discours est insupportable à entendre.

Ne tirons pas de conclusions trop hâtives, attention. Le secrétaire général n'a pas fait passer de nouveau règlement, il n'a pas effectué de proposition auprès du comité de l'ASF ou de tout autre organe. Rien n'est officiel pour l'instant. Mais Alex Miescher, en répondant de cette manière au journaliste du Tages-Anzeiger qui l'interrogeait, a semé le doute. Après avoir estimé que les célébrations de l'aigle réalisées par Granit Xhaka et Xherdan Shaqiri (et Stephan Lichtsteiner...) étaient «problématiques», le secrétaire général a déclaré exactement que désormais, la «Fédération pourrait ouvrir les portes du programme de formation seulement aux jeunes joueurs qui renoncent à leur double nationalité». Ceci afin d'éviter de former des jeunes qui s'en vont jouer ensuite pour la Serbie (Zdravko Kuzmanovic) ou la Croatie (Ivan Rakitic, Mladen Petric).

Tous les autres, sans exception, ont décidé de jouer pour la Suisse

Si ces joueurs ont choisi ces sélections, c'est aussi et surtout parce qu'ils y avaient de meilleures perspectives. L'Albanie et le Kosovo étant des équipes moins fortes que la Suisse, les meilleurs binationaux choisissent la Nati. C'est un fait. Même schéma en France, où les meilleurs font à 99% un choix sportif. Nabil Fékir a choisi les Bleus plutôt que l'Algérie, là où un Wahbi Kazri, pas assez bon pour être sélectionné avec la France, défend les couleurs de la Tunisie. Dans l'immense majorité des cas, le choix est sportif.

Dès lors, il n'existe qu'une solution: augmenter le niveau sportif de l'équipe nationale pour «forcer» les meilleurs joueurs à avoir envie de jouer pour la Suisse. Facile à dire, un peu plus compliqué à faire, mais il n'existe pas d'autre voie crédible.

Car sérieusement, comment forcer dans les faits un jeune de 15 ou 16 ans à renoncer à son pays d'origine? Est-il possible un seul instant d'imaginer le président de l'ASF se poser devant un Lorenzo Gonzalez et lui dire: «A partir d'aujourd'hui, soit tu n'es plus espagnol, soit tu es viré des M18?» Au delà de l'aspect moral et humain, l'argument sportif est ridicule et balaie tous ce que les binationaux ont apporté à la Suisse depuis vingt ans, sans même remonter à Kubilay Türkyilmaz. Où serait la Nati sans ses «étrangers» aujourd'hui? Et combien de joueurs de niveau suffisant pour y jouer ont déserté ses rangs? Trois. Rakitic, Petric, Kuzmanovic. Tous les autres, sans exception, ont décidé de jouer pour la Suisse. Ce n'est pas cher payé. Et on se permettra de mentionner le cas de Valon Behrami, qui joue aussi pour la Suisse parce qu'il a décidé d'être reconnaissant envers ce pays qui a offert l'asile à sa famille. Certains joueurs ont aussi la reconnaissance du ventre et Valon Behrami les incarne parfaitement.

Le système actuel fonctionne très bien. Kevin Mbabu est binational congolais et suisse. Il n'a pas encore été appelé par Vladimir Petkovic, mais il sait que sa première convocation va arriver très vite, tout comme Albian Ajeti. Ces deux-là ne vont pas partir. Par contre, si on leur dit clairement qu'on ne compte pas sur eux (comme Moritz Bauer), ils vont choisir leur autre pays. Alors, surtout, ne changeons rien à notre système de formation.

Et s'il y a un souci de comportement (les célébrations des aigles) ou de motivation (l'attitude de Xhaka face à la Suède), apportons une réponse claire et circonstanciée, en demandant aux principaux concernés de s'expliquer. Mais surtout, surtout, n'allons pas inventer des problèmes là où il n'y en a pas. Les binationaux sont une chance et une richesse, dont la Suisse a plus profité que l'inverse.

Ton opinion