Grogne«C'est l'éboulement de trop!»
La fermeture de l'axe Saint-Gingolph-Thonon à cause d'un énième éboulement agace frontaliers et touristes. La réouverture est repoussée à mardi. Reportage.
- par
- Laurent Grabet
Depuis mardi et comme nous l'avons constaté dimanche dernier, «au moins 2500 fois par jour», chaque garde-frontière de la douane de Saint-Gingolph (VS) répète un étrange mantra aux automobilistes venant du Valais: «Vous allez direction Thonon? La route est fermée! Eboulement.» Et de ponctuer leur réplique en tendant un papier disséquant l'itinéraire bis.
Linda Von Mittenberg, monitrice de ski hollandaise, le réceptionne tout sourire. Quand nous sommes chargés de lui expliquer en anglais que pour aller aux Gets (F) elle devra passer par Morgins et que cela va prendre 1h30' de plus, sa mine s'assombrit tout à coup autant que le soleil sur ce versant ombragé du Léman. «Je vais être en retard», constate-t-elle, stoïque malgré tout.
Dix mètres cube contre 10 000 voitures
A deux pas des lieux du drame, à savoir ceux de l'éboulement de 10 m3 de calcaire sur la départementale D1005, ça discutaille ferme de cette énième fermeture. «Des chutes de pierres obligent à boucler cette route deux fois l'an, peste Gilbert Curdy, un retraité haut-savoyard tout en moustache. Qu'est-ce que nos élus attendent pour construire une demi-voûte comme celle protégeant l'axe du Saint-Bernard? Ici, on est au bout de la France. Si on était à Annecy, cela fait longtemps que le problème aurait été réglé!»
Et les 10'000 automobilistes empruntant quotidiennement la route n'auraient pas à grogner, poursuit en substance l'agent de sécurité qui fait le pied de grue là depuis 7 h. Sa mission? Dissuader les inconscients de franchir les barrières. Il a réussi le matin avec un cycliste qui venait de Genève. Les décharges de dynamite censées sécuriser la zone ont convaincu ce dernier de rebrousser chemin. Pour d'autres, c'est plus difficile. A cet endroit, une vingtaine de véhicules bordent la chaussée, ceux des frontaliers français qui traversent à pied les 900 m d'un ancien tunnel de la ligne du Tonkin pour monter à bord et partir travailler en Suisse.
Stéphane, 29 ans, est de ceux-là. C'est interdit, mais lui aussi a emprunté ce passage. Ce soir, il travaille sur Lausanne et ces perturbations le mettent en rogne: «Cette route aurait dû être sécurisée il y a des décennies! Ma femme et moi, on va vendre notre maison et déménager en Suisse. Dans mon village de Lugrin, plusieurs familles ont déjà déserté. Chez vous, je paierai plus d'impôts mais au moins je verrai où ils vont.» Et le père de famille de passer le reste de sa rage sur le problème No 1 des frontaliers en temps normal: l'assurance-maladie qu'ils vont désormais devoir souscrire pour deux fois plus cher en France. «On est des vaches à lait d'un pays qui va mal. Il y en a marre», lâche-t-il avant de repartir vers la Suisse.
Galère même pour les touristes
Au débarcadère de Saint-Gingolph, Thomas, qui attend la navette spécialement mise sur pied pour rentrer sur France, est du même avis. Ce frontalier de 36 ans travaille sur Fribourg comme décolleteur. Il a passé une partie de son dimanche à conduire jusqu'à l'éboulement pour y garer son véhicule. «La Haute-Savoie est un département riche. Et quand je vois les nids de poule qui ornent cette route, je me demande où filent nos impôts!»
A deux pas, Thierry Walgensinger et sa fille Vanina sont nettement moins remontés. Et pour cause, ces Provençaux sont en vacances, comme le laissaient supposer leurs combinaisons de ski. Ce matin, ils ont dû embarquer sur la navette CGN avec skis et bâtons pour rallier ensuite en voiture la station de Thollon pourtant située en temps normal à quelques minutes de leur lieu de villégiature. «Ça nous fera de beaux souvenirs, se convainc Thierry. Aller skier et naviguer sur le lac le même jour, c'est quand même pas mal!» Mais si la situation n'est pas rétablie lundi comme prévu, il y a fort à parier que le skieur rejoindra bien vite la cohorte des grogneurs.
Lundi à la mi-journée, la mairie de St-Gingolph annonçait sur son site municipal une réouverture possible pour le mardi 25 février 2014.