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Meurtre d'Adeline«C'est une insulte au bon sens»

Le conseiller d'Etat Pierre Maudet reconnaît que la responsabilité de l'Etat est engagée dans la mort de la jeune sociothérapeute.

par
Valérie Duby
Une semaine après la mort révoltante d'Adeline, Pierre Maudet est sorti de son silence.

Une semaine après la mort révoltante d'Adeline, Pierre Maudet est sorti de son silence.

Lionel Flusin

Pierre Maudet ne s'était pas exprimé depuis la conférence de presse de vendredi dernier où la mort d'Adeline, la jeune sociothérapeute genevoise a été confirmée. Une semaine après le drame, il sort enfin du silence. Depuis mercredi, la Pâquerette n'est plus sous la responsabilité des Hôpitaux universitaires de Genève, mais sous celle de son département: la Sécurité. Au centre de sociothérapie où travaillait Adeline, des gens sont sous le choc, certains en congé maladie.

Depuis le drame, vous vous êtes muré dans le silence. Pourquoi?

Le silence était juste et nécessaire. La première préoccupation a été d'arrêter le meurtrier. Il y a ensuite le temps du recueillement, lequel n'a pas été respecté; je pense aux propos indécents de certains membres de l'UDC. Et puis, on ne gouverne pas sous le coup de l'émotion et sous la vindicte populaire. Des questions aiguës se posent. Elles sont légitimes.

Quelles sont les mesures immédiates que vous avez prises à la Pâquerette?

Dès que j'ai repris cette responsabilité, j'ai demandé un point de situation sur les directives en matière de sécurité effectives jusqu'ici. Ce qui m'a conduit très rapidement à appliquer le même règlement qu'à Champ-Dollon en ce qui concerne les détenus de la Pâquerette. Ces pensionnaires sont d'abord des détenus et ensuite des patients, contrairement à l'approche qui semble avoir prévalu jusqu'ici.

En clair?

Les sorties et les contacts avec l'extérieur ont été supprimés. Cela concerne la libre utilisation du téléphone et l'accès Internet. Des choses paraissent évidentes dans un contexte qui reste carcéral.

Vous remettez en cause l'existence de la Pâquerette?

Non. Mais j'ai le sentiment que dans cette problématique, la situation a dérivé. La préoccupation sécuritaire était passée à l'arrière-plan. Et ce n'est pas admissible. Comme l'a dit le président du gouvernement Charles Beer, on doit replacer le curseur du côté de la sécurité. C'est indispensable pour sauver le principe même de la réinsertion.

Avec Curabilis (l'établissement concordataire qui sera inauguré en avril prochain à Genève et accueillera 92 personnes souffrant de troubles mentaux), ne va-ton pas faire courir des risques à la population genevoise?

Curabilis n'est pas une extension de la Pâquerette. Il est destiné prioritairement à des gens internés qui connaissent de graves troubles mentaux et doivent être traités pour cela.

Quelles erreurs ont été commises dans l'affaire Adeline?

Beaucoup de questions s'entrechoquent et les enquêtes le diront. Mais il y a eu visiblement défaut de directives ou alors des directives pas adaptées à l'évolution des temps. Le travail de sociothérapie ou de réinsertion n'est pas une fin en soi. Humanisme ne doit pas rimer avec naïveté. On doit être humaniste sur le principe, c‘est-à-dire envisager la réinsertion comme possible, mais rigoureux dans la mise en œuvre en considérant la limitation des risques comme nécessaire. L'an dernier, il a fallu lutter, en vain, pour que les détenus de la Pâquerette soient fouillés lorsqu'ils arrivaient dans l'enceinte de la prison. On a failli au primat de la protection de la population. On a sans doute considéré trop facilement que tout le monde était récupérable. La réinsertion, souvent ça marche, mais parfois pas. Le secret médical doit être relativisé lorsqu'il s'agit de sécurité publique.

Mais comment peut-on laisser sortir seule une femme avec un délinquant multirécidiviste?

C'est la question que l'on se pose en boucle, les enquêtes le diront. La victime était certes expérimentée et reconnue comme telle. L'avoir laissée sortir seule est une insulte au bon sens. Je suis choqué.

Vous confirmez l'inexistence d'un protocole de sécurité à la Pâquerette?

Je ne peux le confirmer. Cela relève de l'enquête, dont les premiers résultats seront connus le 9 octobre prochain. Elle devra dire pourquoi il y a eu une telle accumulation d'erreurs et de dysfonctionnements. L'Etat doit rendre des comptes.

L'experte Henriette Haas – qui a enseigné à Lausanne et tient la chaire de psychologie forensique à l'Université de Zurich – propose d'imposer une puce aux violeurs et tueurs à la sortie de prison? Qu'en pensez-vous?

C'est un peu une solution de facilité. Cela ne ramène pas les victimes. Le problème réside en amont, dans l'identification et l'orientation pénale de tels prédateurs. Dans cette affaire, je le répète, on a à première vue manqué de bon sens et totalement sous-estimé la dangerosité. On doit savoir pourquoi on en est arrivé là et comment, afin d'empêcher de tels drames à l'avenir. Ça, c'est notre responsabilité politique et je l'endosse.

Allez-vous assister aux obsèques d'Adeline, lundi prochain?

La famille ne souhaite pas la présence des autorités, aussi bien politiques qu'administratives, et nous respecterons ce choix.

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