OpéraConcerts annulés et enquête ouverte contre Placido Domingo
Accusé de harcèlement sexuel, le ténor espagnol voit des salles lui fermer leurs portes et l'opéra de Los Angeles annonce vouloir faire la lumière sur cette affaire.
- par
- Michel Pralong

Après avoir donné plus de 4000 concerts, Placido Domingo est depuis 2003 directeur de l'opéra de Los Angeles.
Les réactions n'ont pas tardé suite à l'enquête de l'Associated Press dans laquelle neuf femmes accusent Placido Domingo de harcèlement sexuel. L'opéra de Los Angeles, que le ténor espagnol dirige depuis 2003, a annoncé engager un avocat pour enquêter sur ces «inquiétantes allégations». «Nous sommes déterminés à faire tout notre possible pour favoriser un environnement professionnel où tous nos employés et artistes se sentent également à l'aise, valorisés et respectés», est-il écrit dans un un communiqué.
Sans attendre les conclusions de cette enquête, plusieurs salles américaines ont déjà fermé leurs portes à la star. L'orchestre de Philadelphie dont il devait ouvrir la saison le 18 septembre a retiré son invitation afin de garantir «un environnement respectueux» pour l'orchestre, son personnel et son public. Pareil pour l'opéra de San Francisco où il était attendu en octobre. Le Met de New York, où Placido Domingo devait se produire en septembre, a indiqué, lui, qu'il attendrait les résultats de l'enquête.
Salzbourg lui maintient sa confiance
Selon l'AFP, la directrice du festival de Salzbourg, en Autriche, où Placido Domingo doit se produire les 25 et 31 août, n'envisageait pas d'annulation. «Je connais Placido Domingo depuis plus de 25 ans» et «j'ai été impressionné depuis le début par la façon très reconnaissante dont il traitait les employés du festival», a déclaré Helga Rabl-Stadler dans un communiqué. «Je trouverais objectivement injuste et irresponsable, sur le plan humain, de rendre des jugements définitifs dès maintenant».
Un secret de polichinelle
«Il existe une tradition orale d'avertir les femmes contre Placido Domingo. Évitez à tout prix toute interaction avec lui. Et ne restez pas seule avec lui.» Ce témoignage d'une mezzo-soprano qui a travaillé pour l'opéra de Los Angeles reflète ce qui, selon l'Associated Press (AP) serait un secret de polichinelle dans le milieu de l'opéra: l'attitude du grand ténor espagnol envers les femmes qui travaillaient avec lui. Si celle qui s'exprime ainsi ne fait pas partie des accusatrices directes de celui qui a également dirigé l'opéra de Los Angeles et de Wahington, l'agence AP a recueilli le témoignage de neuf autres femmes, huit chanteuses et une danseuse, qui l'accusent clairement de harcèlement sexuel.
«Comment dire non à Dieu?»
Selon celles-ci, l'homme aux 150 rôles et aux plus de 4000 concerts, un record, aurait, depuis la fin des années 1980, fait pression sur elles pour avoir des relations sexuelles, notamment en leur promettant des rôles. Et celles qui refusaient étaient punies professionnellement. Car Placido Domingo a été et est toujours, à 78 ans, une figure majeure de l'opéra. «Comment dites-vous non à Dieu?» témoigne une chanteuse qui l'a rencontré alors qu'elle avait 27 ans; celui-ci a alors multiplié les visites non sollicitées dans sa loge, tentant de l'embrasser et l'invitant à venir chez lui. À l'issue d'un spectacle, alors qu'elle était parvenue jusque-là à lui résister, elle a fini par accepter une invitation qui s'est terminée dans la chambre à coucher, avec des caresses. «Je ne ferai pas de carrière à l'opéra si je ne cédais pas», dit-elle avoir pensé à l'époque mais toujours hantée par ces faits aujourd'hui.
Une autre chanteuse qui a travaillé avec le ténor à Los Angeles dans les années 2000 raconte à l'AP comment il l'avait invitée à venir répéter un air chez lui: «Il s'est assis au piano et nous avons vraiment chanté cet air et nous y avons travaillé, a-t-elle déclaré. Et il m'a donné des conseils et a été très élogieux. Quand tout a été fini, il s'est levé et a glissé sa main sur ma jupe, et c'est à ce moment-là que j'ai dû sortir de là.»
Une mezzo soprano explique avoir fini par céder après des années de harcèlement et couché à deux reprises avec lui: «OK, je suppose que c'est ce que je dois faire», avait-elle fini par penser. L'une des deux fois, il était parti avant elle et lui avait laissé 10 dollars sur la table de nuit: «Je ne veux pas que vous vous sentiez comme une prostituée, mais je ne voulais pas non plus que vous deviez payer pour vous garer», avait-il expliqué.
Un seul témoignage non anonyme
Sur les neuf accusatrices, une seule a accepté de ne pas agir anonymement, les autres expliquant qu'elles travaillaient toujours dans le milieu de l'opéra et craignaient des représailles ou d'être humiliées publiquement, voire de faire l'objet de harcèlement. Celle qui a donné son nom est Patricia Wulf, une mezzo-soprano qui a chanté avec Domingo à l'Opéra de Washington en 1998. «Chaque fois que je sortais de scène, il m'attendait dans les coulisses. Il venait tout près de moi, aussi près que possible, baissait la voix et disait: «Patricia, est-ce que tu dois rentrer à la maison ce soir?» Lorsqu'un homme s'approche de moi avec un sourire ironique, me demande si je dois rentrer à la maison – à plusieurs reprises – je ne peux en arriver à aucune autre conclusion qu'il veut coucher avec moi. Surtout compte tenu de sa réputation pour cela. Cela a affecté ma façon de traiter les hommes pour le reste de ma carrière à l'opéra et le reste de ma vie», raconte-t-elle aujourd'hui. Et si, à 61 ans, les larmes aux yeux, elle a décidé de témoigner c'est parce que, dit-elle, «j'espère que cela pourra aider d'autres femmes à se faire connaître ou à être assez fortes pour dire non».
Une trentaine d'autres femmes travaillant dans le milieu de l'opéra ont également déclaré avoir été témoins de comportements déplacés de la part de Placido Domingo et apportent leur soutien aux accusatrices.
Placido Domingo se défend
Contacté par l'AP, le ténor espagnol, marié depuis cinquante-sept ans, a publié une déclaration: «Les allégations de ces individus non nommés remontant à trente ans sont profondément troublantes et, telles que présentées, inexactes. Néanmoins, il est douloureux d'entendre dire que j'ai peut-être fâché quelqu'un ou que je l'ai mis mal à l'aise, peu importe la date et malgré mes meilleures intentions. Je croyais que toutes mes interactions et mes relations étaient toujours les bienvenues et consensuelles. Les personnes qui me connaissent ou qui ont travaillé avec moi savent que je ne suis pas quelqu'un qui voudrait intentionnellement nuire, offenser ou embarrasser qui que ce soit. Cependant, je reconnais que les règles et les normes selon lesquelles nous sommes – et devrions être – comparés à aujourd'hui sont très différentes de ce qu'elles étaient dans le passé. J'ai la chance et le privilège d'avoir eu une carrière de plus de cinquante ans à l'opéra et je me suis tenu aux standards les plus élevés.»