Suisse: Crédits d'urgence: les autorités serrent la vis

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SuisseCrédits d'urgence: les autorités serrent la vis

L'afflux d'argent bon marché pourrait soutenir l'existence des entreprises ne survivant que grâce à un refinancement constant de leur dette.

L'arrêt soudain de l'économie provoqué par les mesures de confinement va mettre sous forte pression les emprunteurs du monde entier.

L'arrêt soudain de l'économie provoqué par les mesures de confinement va mettre sous forte pression les emprunteurs du monde entier.

Keystone

Les mannes financières libérées pour lutter contre les conséquences économiques du coronavirus risquent de faire le bonheur des sociétés dites zombies, des entreprises non rentables sous perfusion d'argent bon marché, avertissent les experts. Face à l'afflux de demandes pour des crédits d'urgence et le manque de contrôle, les autorités suisses ont promis de serrer la vis.

«L'arrêt soudain de l'économie provoqué par les mesures de confinement va mettre sous forte pression les emprunteurs du monde entier, alors que l'assèchement des flux de trésorerie et le resserrement des conditions de financement va peser sur la capacité d'endettement» des entreprises, ont averti les spécialistes de S&P Global Ratings.

L'agence de notation, qui évalue et note la capacité des sociétés à obtenir de l'argent frais, s'attend à ce que les mesures sanitaires prises pour contenir la propagation du Covid-19 pourraient provoquer une envolée des défauts de paiement.

Les entreprises dont la note de dette se situe à «B» ou en dessous, soit vulnérables mais capables de répondre à leurs obligations financières selon la définition de S&P, vont se retrouver sous forte pression. Leur nombre a fortement augmenté ces dernières années, notamment aux Etats-Unis et en Europe.

Vérification des demandes

L'analyste Nick Kraemer de S&P prévoit ainsi que «le taux de défaut à un an des entreprises européennes notées en catégorie 'spéculative' (soit BB et en-dessous) atteigne 8% au cours des 12 prochains mois, contre un niveau de 2,2% fin 2019». En cas de période de confinement prolongée, ce taux pourrait monter à environ 11%.

Alors que le gouvernement helvétique a demandé vendredi de relever à 40 milliards de francs au total le crédit d'engagement pour les financements d'urgence de PME, des voix s'élèvent pour exiger un contrôle renforcé. Le journal zurichois Tages-Anzeiger a ainsi fait état de demandes illicites, notamment de sociétés peu rentables. Dans le tabloïd Blick, le conseiller national PLR argovien Matthias Jauslin a critiqué que ni les banques, ni les autorités ne contrôlaient les demandes de crédit déposées par le PME.

Face à cette situation, le Contrôle fédéral des finances a assuré qu'il allait vérifier les demandes pour éviter que des sociétés en faillite réclament de l'argent ou pour débusquer les demandes multiples. Son patron Michel Huissoud a admis que les risques de fraude étaient élevés, selon de récentes déclarations à Keystone-ats.

Les débiteurs pourraient faire de fausses déclarations dans le cadre de leur demande sur internet pour obtenir une ligne de crédit de 500'000 francs à taux zéro. Les banques suisses ont déjà accordé des crédits-corona pour un volume d'environ 14,3 milliards de francs.

Les morts-vivants plus nombreux

Pour tenter d'y voir plus clair, le registre central des organisations de cautionnement vérifiera que toutes les conventions de crédit Covid-19 respectent des conditions de base et que les entreprises concernées n'ont pas déposé plusieurs demandes.

De l'avis de certains spécialistes, cet afflux d'argent bon marché pourrait soutenir l'existence des sociétés dites zombies, des entreprises créées il y a plus de dix ans, ne survivant que grâce à un refinancement constant de leur dette et incapables de couvrir le paiement des intérêts débiteurs avec leurs bénéfices d'exploitation, voire de rembourser l'emprunt.

Dans une étude de la Banque des règlements internationaux (BRI) remontant à septembre 2018, la dernière en date sur ce sujet, les économistes ont évalué à 12% la part de sociétés zombies sur l'ensemble des entreprises cotées dans 14 économies développées en 2016, dont la Suisse. A la fin des années 1980, cette part se situait encore à 2%.

La probabilité qu'une firme demeure à l'état de «mort vivant» est passée de 60% à la fin des années 1980 à 85% en 2016, a poursuivi la BRI. «Il y a lieu de véritablement s'inquiéter», car aux seuls Etats-Unis 14% des sociétés de l'indice élargi S&P 1500 peuvent être classées dans cette catégorie, a indiqué à AWP John Plassard, analyste chez Mirabaud Securities.

La situation actuelle «ne devrait pas créer plus de sociétés zombies, mais plutôt accentuer l'effet négatif sur les sociétés zombies existantes», selon M. Plassard. Ces dernières sapent en effet les investissements disponibles et en privent des sociétés rentables qui en auraient besoin pour se développer.

«Une progression des entreprises zombies récompense les improductifs et taxe les productifs, créant une incitation perverse», a souligné le spécialiste de Mirabaud Securities. Dans l'immédiat, ces sociétés ont de beaux jours devant elles. «En Suisse, comme partout ailleurs, le problème pour les sociétés zombies sera lorsque les taux remonteront. Ce qui n'est pas près d'arriver», a ajouté M. Plassard.

(ats)

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