CaraïbesCuba: l’espoir de voir s’alléger les sanctions des USA s’éloigne
Promesse de campagne de Joe Biden, l’allègement des sanctions américaines envers Cuba ne semble plus d’actualité depuis les manifestations du week-end dernier.

Manifestation de soutien au peuple cubain à Hialeah, en Floride, le 15 juillet 2021.
Le gouvernement cubain espérait beaucoup de l’arrivée à la Maison-Blanche de Joe Biden, après ses promesses de campagne d’éventuellement alléger certaines sanctions, mais les manifestations sur l’île ont ravivé les tensions entre les deux pays.
Pendant sa campagne, le président américain avait souligné la nécessité d’une «nouvelle politique envers Cuba» et évoqué l’idée de lever les restrictions sur les voyages de touristes américains vers l’île des Antilles, située à 145 km de la Floride (sud-est des États-Unis), et sur les transferts de fonds entre particuliers.
Des déclarations vécues comme de véritables «promesses» à La Havane après quatre ans de dures sanctions par l’administration de Donald Trump (2017-2021), dont l’inscription de Cuba sur la liste noire des États soutenant le terrorisme.
«C’est clair que cela avait créé beaucoup d’attentes» sur l’île, explique l’universitaire et ex-ambassadeur cubain Carlos Alzugaray. Mais six mois après le début du mandat de Joe Biden, «on ne voit pas de changements, les mesures du blocus restent en vigueur», s’est lamenté cette semaine le chef de la diplomatie cubaine Bruno Rodriguez.
Excédés par la crise économique et sanitaire, des milliers de Cubains sont descendus les 11 et 12 juillet dans les rues de plusieurs dizaines de villes et villages, aux cris de «Nous avons faim», «A bas la dictature» et «Liberté!». Un manifestant a été tué et une centaine d’autres arrêtés.
Déception
Washington et La Havane n’ont cessé depuis de s’accuser mutuellement. Pour le président cubain Miguel Diaz-Canel, ce sont les États-Unis qui ont financé et encouragé ces manifestations.
Joe Biden a répliqué durement jeudi, qualifiant Cuba d’«État défaillant qui opprime ses citoyens» et se disant prêt à envoyer des vaccins anti-Covid pour qu’une organisation internationale les administre, alors que le pays traverse le pire moment depuis le début de la pandémie de coronavirus. Le président américain a aussi refusé de faire machine arrière concernant les restrictions sur les «remesas», les envois d’argent aux Cubains par leurs proches à l’étranger. «Cela n’aura pas lieu maintenant» face au risque que le «régime confisque ces +remesas+», a-t-il déclaré.
Avec ces déclarations, Joe Biden «a évidemment déçu beaucoup (de Cubains) qui espéraient, non pas qu’il revienne aux politiques (de l’ex-président américain Barack) Obama (2009-2017), mais qu’il revienne sur les mesures les plus dures et les plus absurdes de Trump», estime Carlos Alzugaray. Et en s’exprimant ainsi, «il montre une totale ignorance de la situation cubaine», soupire-t-il.
Vendredi, le président cubain a répliqué, via Twitter. «Un État défaillant est un État qui, pour plaire à une minorité réactionnaire et qui lui fait du chantage, est capable de multiplier les dommages à 11 millions d’êtres humains», a-t-il lancé à propos de l’embargo américain, en vigueur depuis 1962. «Si le président Joseph Biden avait une préoccupation humanitaire sincère pour le peuple cubain, il pourrait supprimer les 243 mesures mises en place par le président Donald Trump, dont plus de 50 cruellement imposées pendant la pandémie».
«Politique au point mort»
Dans ce climat tendu, désormais «il est très difficile, voire impossible, que l’administration Biden lève les mesures punitives» mises en place par son prédécesseur, prévient Michael Shifter, président du Dialogue interaméricain, un centre d’analyses basé à Washington.
La frange de droite des exilés cubains aux États-Unis soutient une ligne dure vis-à-vis de La Havane et exige le coup de grâce. Donc, si Joe Biden tente d’«adoucir et assouplir» cette politique pour une «approche plus humanitaire, il sera durement critiqué par (ses opposants) républicains pour avoir trop cédé au régime. La politique est au point mort», estime l’analyste.
L’ex-conseiller à la sécurité nationale de Barack Obama, Ben Rhodes, qui fut l’architecte de sa politique cubaine, a toutefois exigé mardi que le président américain agisse. «Les Cubains ont courageusement exprimé leurs frustrations et exercé leurs droits universels de manière vraiment inspirante. Nous devrions penser avant tout à ce que nous pouvons faire pour les aider», a-t-il déclaré, demandant notamment de faciliter les envois d’argent.
Le lobby anti-embargo Cuban Americans For Engagement (CAFE), basé à New York, a reproché au gouvernement cubain d’avoir ignoré «d’importants conseils» visant à libéraliser progressivement l’économie, ce qui, avec «d’autres échecs», a conduit aux manifestations. Mais il a aussi qualifié l’administration Biden d’«hypocrite», la pressant, «si elle se soucie tant des Cubains, de lever les sanctions». Il faut du «bon sens des deux côtés (…) Il n’y a pas 60 ans de plus à perdre», a-t-il ajouté.