Incendie de Cortébert (BE)«Darling», le veau qui redonne espoir à la famille sinistrée
Christine Wüthrich a perdu son mari il y a quatre ans, puis sa ferme où vivaient ses quatre enfants. Mais dans le drame, il y a des lueurs: un veau retrouvé dans la forêt, un don de 10 000 francs, des macaronis d’alpage…

- par
- Vincent Donzé
Dimanche matin, deux nuits après l’incendie d’une ferme fatal pour une cinquantaine de veaux à Cortébert (BE), il s’est produit un petit miracle: un chien en promenade avec sa maîtresse a aperçu un veau dans la forêt. «On a retrouvé «Darling»!» s’est réjouie l’agricultrice Christine Wüthrich, au cœur d’un drame.
À 44 ans, Christine Wüthrich a perdu son mari emporté par un cancer foudroyant, puis sa ferme où vivaient ses quatre enfants, deux filles et deux garçons. Mais dans le drame, il y a des lumières: un bovin retrouvé dans la forêt, une tresse au beurre, des macaronis d’alpage, ceux reçus dans des barquettes le soir de l’incendie, quand les pompiers surveillaient encore les décombres.
Dans le partage
À l’épicerie du village, «Chez Jean-Pierre», le gérant a mis une cagnotte de 500 francs à disposition de la famille. Plus loin, à La Tour-de-Peilz (VD), touché par le récit du «Matin.ch», l’horloger Jean-Claude Biver a versé 10 000 francs aux sinistrés: «Nous devons vivre autant que possible dans le partage. Partager les succès, les joies, les échecs et la souffrance», dit-il.
Un appartement a été trouvé dans l’urgence par la commune, dans l’ancien Hôtel de l’Ours. «Je suis reconnaissante. Les bras m’en tombent et c’est presque la honte: on nous aide, on nous soutient pour la deuxième fois», glisse Christine Wüthrich, la maman d’une fratrie qui a perdu son patriarche.
Après la mort de Thomas Wüthrich à 44 ans, la famille a remercié «les Cortébert, son village, le monde agricole»: «Tout simplement du fond du cœur, merci, pour toutes les attentions délicates, l’amitié et le réconfort que vous nous avez témoigné», ont-ils écrit alors dans un faire-part. Quatre pans plus tard, après l’incendie de la ferme agrandie par le papa, la solidarité redouble: «Ça recommence, en plus généreux…», frissonne la maman qui en a «la chair de poule».
Paysans engagés
Les Wüthrich, dans le vallon de St-Imier, sont des paysans engagés dans le monde associatif et corporatif, par exemple au sein de la Société coopérative de fromagerie. Christine était de la commission d’école, Thomas de celle des chemins, tout en présidant une société de gymnastique. Il était aussi, quel paradoxe, commandant des pompiers.
Sa mort avait, selon les mots de son épouse «laissé un vide dans le vallon». Ce sont 19 apprentis qui ont été formés à la ferme. «Ce qui était agricole passait par notre ferme», souffle Christine Wüthrich en évoquant le syndicat bovin et la société de fromagerie.
Tenu la baraque
À la ferme, Christine Wüthrich a, comme on dit, tenu la baraque avec ses enfants Lisa, André, Coralie et Damien, âgés de 21 à 15 ans. Les filles deviendront assistante médicale et employée de commerce, les garçons font de l’agriculture leur profession.
«On a dû se relever», résume pudiquement la maman. Un effort conjugué dans le travail: «Chez nous, tout le monde va à l’écurie, en sachant traire les vaches», insiste la maman, soutenue par son compagnon Jean-Luc, un paysan qui a, comme elle dit, «rattrapé ce qui flanche».
Chez nous, tout le monde va à l’écurie, en sachant traire les vaches.
Le domaine, c’est la maman qui le gère, tout en étant en couple à Nods. L’écurie partie en flammes a été construite en 2015, par le mari. Construite de fond en comble, les enfants s’en souviennent: «On en a bavé», souffle l’aîné. Façon de dire que la fratrie «se débrouillait avec les bêtes», tandis que le père s’occupait du chantier.
Leur origine emmentaloise apparaît au détour d’une expression, comme le «stöckli» qui désigne le chalet réservé aux grands-parents qui se sont établis à Cortébert, Ils y ont subi, eux aussi, un incendie. «À l’époque, tout a été reconstruit», rapporte Lisa. Une reconstruction dans un style seelandais que Christine et ses enfants veulent reproduire à l’identique à un détail près: «Pour plus de sécurité, l’habitation sera séparée du rural», prévoient-ils.
Manteau neigeux
«Cette habitation, c’est notre identité», résume Lisa, en roulant sous la neige vers Cortébert. Lundi à la tombée de la nuit, toute la tristesse d’une famille était recouverte d’un manteau neigeux qui loin d’adoucir le sinistre, en accentuait les contours. Le stöckli a été épargné, au contraire de l’écurie, mais tout n’est que désolation.
C’est un crépitement qui a réveillé Damien, jeudi soir. Les flammes provenaient du fourrage: «Impossible de les éteindre avec trois extincteurs», relève André. Sa sœur Coralie s’est précipitée chez les voisins en appelant à l’aide, tandis qu’André libérait les 70 vaches laitières, dirigées vers le parvis bétonné, puis vers les pâturages. Pour les 50 veaux, André s’est heurté à un mur de fumée, dont s’est échappé «Darling».
Un paysan de Sonceboz s’est annoncé: il gardera «Darling» à ses frais, la fera ensemencer et la restituera quand elle sera prête à vêler. Ainsi va le cycle de la vie, dans le monde agricole. Mais sans solidarité, la vie paraîtrait bien cruelle à Christine et ses enfants.

Vendredi soir, les braises étaient soufflées par le vent à l’horizontale.