Nutrition: Des chercheurs du CHUV font grossir des volontaires

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NutritionDes chercheurs du CHUV font grossir des volontaires

Que se passe-t-il lorsqu'on suralimente son organisme? C'est ce qu'une équipe vaudoise tente de comprendre en recrutant des «cobayes» pour mal se nourrir durant 32 jours.

Stéphany Gardier
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Stéphany Gardier
L'étude prévoit d'observer sur quatre semaines l'effet d'une augmentation importante des apports caloriques.

L'étude prévoit d'observer sur quatre semaines l'effet d'une augmentation importante des apports caloriques.

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Etre payé pour manger de la «junk food». La proposition en a surpris plus d'un. Le service d'endocrinologie, diabétologie et métabolisme du Centre hospitalier universitaire vaudois (CHUV) a lancé un recrutement pour une nouvelle étude de «suralimentation». Un «Super Size Me» à la vaudoise? Dans le documentaire américain, le réalisateur, Morgan Spurlock, s'était nourri exclusivement de fast-food durant un mois pour dénoncer les méfaits de la malbouffe. Ici, le protocole se montre moins radical, mais le but n'est pas si éloigné. L'équipe du professeur François Pralong cherche en effet à observer l'impact d'un apport excessif de calories pour mieux comprendre les mécanismes menant au surpoids.

50% de calories supplémentaires

L'étude prévoit d'observer sur quatre semaines l'effet d'une augmentation importante des apports caloriques: les volontaires devront manger la moitié de leur ration habituelle, soit 1000 à 1500 kilocalories (kcal) en plus chaque jour. La nourriture sera fournie sous forme de snacks, de barres chocolatées, de chips et autres aliments très riches en calories. «C'est la quatrième étude de ce type que nous menons au CHUV. Nous sommes maintenant bien organisés pour les ravitaillements au supermarché», sourit François Pralong. Certains volontaires recevront également des polyphénols, soit des molécules antioxydantes naturellement présentes dans certains fruits et légumes, qui pourraient limiter les effets néfastes de la suralimentation.

Mis au point en parallèle à Lyon par l'équipe du professeur Martine Laville au Centre de recherche en nutrition humaine, le protocole inclut la réalisation de nombreux tests, de prélèvements sanguins à des biopsies du tissu adipeux et musculaire, en passant par l'analyse de la flore intestinale.

Mais 32 jours sont-ils suffisants pour obtenir des informations sur une pathologie chronique telle que l'obésité? «C'est une des critiques souvent formulée lors des premières études de ce type, mais l'expérience a montré que de nombreux paramètres sont modifiés dès les premiers jours de suralimentation, explique François Pralong. Les changements hormonaux sont ainsi très proches de ceux observés chez les personnes obèses.»

Le sucre en ligne de mire

Luc Tappy, médecin et professeur à l'Université de Lausanne, a lui réalisé plusieurs protocoles de surcharge en fructose, parfois concentrés sur quelques jours seulement, et qui provoquaient déjà des réponses notables de l'organisme. «On observe des modifications sur les triglycérides sanguins, l'expression de certains gènes impliqués dans le métabolisme, et surtout une augmentation de la résistance à l'insuline, un des marqueurs précoces du diabète de type 2», précise le médecin. Si les aliments gras ont très tôt attiré les soupçons, le sucre a lui bénéficié d'une certaine impunité. Mais depuis une vingtaine d'années, ses méfaits sur l'organisme et son rôle dans l'épidémie mondiale d'obésité ne font plus guère de doute.

«Le sucre ne doit pas être diabolisé! L'être humain est capable de dégrader le sucre, il a toutes les enzymes pour le faire, insiste Luc Tappy. Mais nous absorbons aujourd'hui presque 50 fois plus de sucre que nos ancêtres il y a 200-300 ans!» Longtemps, en effet, le sucre est resté un produit très rare, onéreux et donc utilisé avec parcimonie. «La consommation a augmenté autour des années 1850, et depuis, cette croissance est continuelle, explique Luc Tappy. Le sucre représente maintenant 20% des calories absorbées, alors que les recommandations mettent la barre en dessous de 10%.» Outre son implication dans le surpoids et le diabète, le sucre en excès s'avère aussi néfaste pour le foie où il produit une accumulation de graisses. La NASH, ou stéatose hépatique non alcoolique («Non-Alcoholic Steatohepatitis» en anglais), est devenue aux Etats-Unis la première cause d'atteintes hépatiques, devant les cirrhoses alcooliques; sa fréquence en Europe ne cesse aussi d'augmenter.

Des effets réversibles

Que les volontaires de l'étude du CHUV ne s'inquiètent cependant pas. «Leurs paramètres métaboliques vont évoluer, mais en restant dans les limites de la normalité», rassure François Pralong. Pour ce qui est de la perte de poids, là aussi aucune inquiétude à avoir selon le médecin: tous les volontaires des précédentes études ont perdu les 2 à 4 kg pris spontanément à l'arrêt de la suralimentation. «Nous veillons lors du recrutement à ne pas inclure de personnes qui souffrent de troubles du comportement alimentaire. Et par la suite, un suivi est prévu si besoin.» Les chercheurs lausannois peinent cependant à recruter des femmes, plus réticentes à prendre du poids semble-t-il. «C'est pour nous bien plus compliqué d'enrôler des femmes, alors qu'il serait important de comprendre le rôle des hormones féminines sur la prise de poids», souligne François Pralong. A Lyon, le recrutement des hommes continue lui aussi. Avis aux volontaires!

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