CinémaDes costumes de superhéros à Fribourg
Après 30 ans de carrière à Hollywood, la costumière vaudoise Francine Lecoultre fait l’objet d’une exposition à Fribourg. Elle y sera vendredi pour parler de son travail.
- par
- Christophe Pinol

Francine Lecoultre au Festival du film de Sundance 2023 pour la première de «Divinity».
C’est l’une des grandes costumières d’Hollywood. Voilà près de 30 ans que la vaudoise Francine Lecoultre distille son talent, sa patte et son imagination débordante sur les plus grosses productions américaines. De «Batman & Robin» à la série «WandaVision», en passant par quelques «Fast & Furious» ou encore le récent «Shazam: la rage des dieux».
Elle est actuellement en Suisse pour deux événements: d’abord le 37e Festival International du Film de Fribourg (FIFF), dont elle sera membre du jury du 17 au 26 mars, mais la galerie J.-J. Hofstetter, à Fribourg, lui consacre surtout une exposition, jusqu’au 1er avril, regroupant certains de ses travaux pour le cinéma ainsi que des œuvres personnelles.
Vendredi 10 mars, à 20 heures, elle y donnera même une conférence pour parler plus en détail de son travail. En attendant, on a entamé la conversation.
Pourquoi avoir intitulé votre exposition «Innovation & Science-fiction»?
Parce que mon travail de ces trente dernières années repose sur ces deux piliers, que ce soit mes œuvres personnelles ou celles effectuées pour le cinéma. L’innovation, parce que vous êtes bien forcé de vous renouveler en permanence pour rester au top dans ce métier, avec la technologie qui évolue à une vitesse folle. La recherche m’intéresse d’ailleurs beaucoup, comme le fait d’élaborer de nouveaux tissus, notamment grâce à des imprimantes 3D. Même s’il me tient avant tout à cœur de préserver les techniques artistiques.

Détail d’une jupe en silicone conçue pour le spectacle de l'Expo 02. Une des créations de Francine Lecoultre.
À Hollywood, on nous demande toujours d’aller plus vite et le travail à la main n’est plus vraiment possible. Il faut de plus en plus faire appel à des ordinateurs ou ce type d’imprimantes 3D.
Et cet autre pilier, la science-fiction? Parce que c’est le domaine qui vous apporte le plus de liberté?
C’est plutôt celui qui me vaut le plus de demandes. Et pourtant, quand je suis arrivée à Hollywood, la science-fiction, je savais à peine ce que c’était et jamais je n’aurais imaginé un jour y faire carrière. J’étais tombée sur une équipe qui travaillait sur la série «Star Trek: Voyager». J’avais deux ou trois échantillons à leur montrer, ils m’avaient tendu en retour un tissu style momie égyptienne en me disant qu’ils avaient besoin de quelqu’un pour le reproduire. Et c’est comme ça que tout a commencé…
Et aujourd’hui vous venez de terminer un film de superhéros DC, «Shazam: la rage des dieux» (sortie le 29 mars), suite du premier volet sorti il y a 3 ans. De quoi vous êtes-vous occupée?
Notamment les costumes d’Helen Mirren, en déesse grecque, et de Lucy Liu, les deux supervilaines du film. Ce sont des costumes composés d’une multitude de pièces: la cape, les bottes, l’armure… J’ai travaillé 8 mois sur ce film et j’en suis vraiment fière. On a fait beaucoup de recherches, multiplié les tests pour trouver les bonnes textures, la bonne couleur, la bonne résistance…
Quand j’arrive sur le film, les esquisses des personnages et des costumes sont faites et c’est à moi de trouver des solutions pour les réaliser, pour les concrétiser. Il faut évidemment que ça en jette à l’image mais que ce soit surtout nouveau. Ce qui est intéressant, c’est de créer nos propres tissus. Un costume fait main se remarque immédiatement. C’est unique, c’est spécial. On le voit d’ailleurs très bien à travers cette exposition, avec les tissus et matériaux que j’ai apportés.
Qu’est-ce qu’on pourra y voir alors?
Quelques pièces uniques de tissus spéciaux utilisés pour certains des costumes que j’ai confectionnés pour le cinéma. Mais des morceaux seulement parce que les costumes réels ne sont pas transportables. Les studios les gardent précautionneusement ou les envoient dans des musées. Parfois, les acteurs ont dans leur contrat une clause qui leur permet de les garder. Mais j’ai notamment apporté une pièce de la robe que portait Vincent D’Onofrio dans «The Cell».

Un masque «Sci Fi» sans titre réalisé à l’imprimante 3D.

Un autre masque «Sci Fi» sans titre réalisé à l’imprimante 3D.
J’ai aussi beaucoup d’œuvres personnelles: des tableaux, des sculptures… Et une installation que j’ai réalisée: la représentation d’un glacier pour lequel j’ai recréé des cristaux de glace en impression 3D, à partir de photos prises dans une cave de glace du Jungfraujoch. C’est une installation en hommage à mon grand-père, qui était tombé dans une crevasse au Piz Bernina, dans les Grisons, en 1950, et que l’on avait retrouvé 31 ans plus tard, à 3 kilomètres de là, durant le tournage du film «Cinq jours, ce printemps-là», avec Sean Connery.
Y a-t-il un costume dont vous êtes particulièrement fières dans votre carrière?
Le premier qui me vient à l’esprit, c’est justement celui de «The Cell», une robe imprimée dorée très spectaculaire. Ça avait été pour moi l’occasion de travailler avec une grande costumière, Eiko Ichihoka. Dans ce métier, les collaborations sont très importantes. Là, tout était parti d’une erreur. Je travaillais sur des échantillons de tissu et l’un d’eux était raté. Mais c’est celui qui plaisait à Eiko, il donnait un aspect vieilli, patiné, et j’ai dû me casser la tête pour reproduire cette erreur. Après, on m’a souvent demandé de reproduire ce tissu antique et c’est devenu ma spécialité.
Et le costume qui vous a demandé le plus de travail?
Probablement celui d’«Il était une fois», pour Amy Adams. J’avais commencé par des échantillons en ne sachant pas très bien ce que la production voulait en faire… Souvent les films sont tellement secrets qu’on ne vous dit pas sur quoi vous travaillez. Et puis c’est devenu un projet d’envergure énorme. La robe était constituée de 4500 cristaux Swarovski avec des motifs Art nouveau très complexes. Il a fallu trouver le bon rythme, la taille idéale de ces motifs… Et on m’a finalement demandé de fabriquer 15 robes pour le tournage, rigoureusement identiques, avec la même petite pièce de cristal au même endroit. Puis encore 15 autres pour la campagne de presse mondiale. Un boulot de fou…
Êtes-vous parfois frustrée lorsque vos costumes se retrouvent peu mis en évidence dans un film?
Il y en a effectivement qu’on ne voit parfois qu’à peine. Et d’autres beaucoup plus, comme celui sur lequel j’ai travaillé pour «Hocus Pocus 2» (disponible depuis peu sur Disney+), le costume de Bette Midler. Là, pour le coup, on le voit énormément. Elle le porte pendant presque tout le film et il est même sur l’affiche, qu’on retrouve dans le monde entier.
Mais j’ai parfois aussi des demandes un peu spéciales, comme cette commande de l’Academy Museum of Motion Pictures, ce nouveau musée de Los Angeles qui a ouvert en 2021, et qui m’a demandé de reproduire la couronne portée par La Méchante sorcière de l’Ouest dans le film «The Wiz», avec Michael Jackson, en 1978. L’original, en métal, avait été perdu et je l’ai reproduit en impression 3D, en plastique mais avec un placage or à l’ancienne. J’aime marier de vieilles techniques avec de nouvelles. C’était un défi assez complexe à relever…
Mais vous savez, je suis née dans une fabrique de pierres fines pour l’horlogerie, à Lucens… Donc j’ai un certain héritage question détails, minutie et précision. Alors la couronne est maintenant exposée à Los Angeles mais j’en ai une réplique avec moi, à l’exposition de Fribourg.