IntégrationDes cours de langue très critiqués
La Grande-Bretagne veut forcer les femmes musulmanes à apprendre l'anglais pour «résister à l'attrait de l'extrémisme». En Suisse, la méthode divise.
- par
- Cléa Favre

Il n'est pas évident que les femmes migrantes aient davantage de difficultés à apprendre la langue de leur pays d'accueil.
Améliorer son anglais ou partir. C'est le choix que David Cameron laisse aux musulmanes. Dans une tribune publiée lundi dans le Times, le chef du gouvernement britannique annonce la création d'un fonds de 26 millions d'euros destiné à «apprendre aux femmes musulmanes à parler l'anglais». Il espère «lutter contre la ségrégation et les aider à résister à l'attrait de l'extrémisme». Mais David Cameron accompagne cette exigence d'une menace: si les femmes n'améliorent pas leur maîtrise de la langue, leur place au Royaume-Uni n'est pas garantie.
En Suisse, cette argumentation est jugée au mieux simpliste. Tout d'abord, il n'y a aucune donnée sérieuse qui montrerait que les femmes migrantes ont, d'une façon générale, davantage de difficultés que les hommes dans la maîtrise de la langue locale, selon François Grin, directeur de l'Observatoire ELF (Economie langues formation) à l'Université de Genève. «Nous savons seulement qu'au niveau de la population générale, les filles sont meilleures dans les langues.»
Les avis sont d'ailleurs partagés. Sandro Cattacin, sociologue spécialiste des migrations, pense que certaines femmes – plus souvent en première ligne pour l'école ou la santé – apprennent plus rapidement. Etienne Piguet, professeur de géographie humaine à l'Université de Neuchâtel et vice-président de la Commission fédérale pour les questions de migration, met, lui, plutôt en avant le fait que les femmes ont moins de contacts avec l'extérieur. Ce qui pourrait les pénaliser. D'autre part, le lien entre discrimination des femmes et islam n'est pas démontré non plus et relève plutôt de la stigmatisation gratuite. «On généralise un phénomène très marginal. Ce qui ouvre la voie au racisme», constate Sandro Cattacin.
Les experts s'accordent tout de même sur le fait qu'au lieu de brandir le bâton de l'expulsion, il faut avant tout faciliter l'accès aux cours de langue, que ce soit au niveau des compétences de base requises, de leur compatibilité avec des charges familiales et leur coût.
Le débat renvoie en fait à ce que l'on entend par intégration et qui diffère d'une région à l'autre. «Les contrats d'intégration de certains cantons imposent de suivre des cours. D'autres, comme Genève, estiment qu'un étranger, dès qu'il est autonome, est du même coup intégré. Ce qui pourrait être le cas d'une femme dont le conjoint est cadre dans une multinationale, qui n'a pas de problème d'argent et ne parle qu'anglais», explique François Grin. A ses yeux, on ne demande pas la même chose à un Kurde qui nettoie des bureaux la nuit et au conjoint d'une personne avec un haut salaire. Néanmoins, la langue a une valeur symbolique. «En montrant qu'il fait l'effort d'apprendre ou non, le migrant envoie un message à sa société d'accueil», conclut François Grin.