BusinessDes hôtels pour chevaux à la ferme
De plus en plus d'agriculteurs abandonnent leurs vaches pour prendre des équidés en pension. Ça paie, mais pas toujours…
- par
- Pascale Bieri
Après la vente directe de fruits ou légumes – voire de viande –, les gîtes ruraux et les brunches à la ferme, voici «l'hôtel pour chevaux». Profitant de l'engouement actuel pour l'équitation, de plus en plus d'agriculteurs se lancent dans la pension d'équidés. Et la demande est là, puisque 85% de ces animaux (111 137 au total) vivent désormais à la ferme.
«C'est une source de diversification intéressante pour la profession», se réjouit Jacques Bourgeois, conseiller national (PLR/FR) et directeur de l'Union suisse des paysans (USP). De fait, une exploitation agricole sur cinq détient désormais des chevaux, aux côtés ou à la place des vaches. Avec diverses offres d'hébergement, allant de la vie au pré, avec abris, au box-terrasse de luxe, dans une fourchette de prix oscillant, en moyenne, entre 400 et 900 francs.
C'est le cas de David Devaud, à Bouloz (FR), qui a construit, en 2014, une vingtaine de box pour accueillir des équidés. «La production laitière devenant saturée, j'ai réduit le nombre de vaches laitières pour prendre des chevaux en pension. Nous en avons toujours eu quelques-uns sur l'exploitation, mais comme nous avions de plus en plus de demandes dans ce sens, j'ai décidé de me lancer à plus haut niveau et de construire une écurie moderne, ainsi qu'un manège couvert de 600 m2, ce qui a été possible parce que notre ferme est située en zone village.»
Rude concurrence
Reste qu'une telle reconversion ne va pas de soi. «On ne cesse de nous répéter qu'il faut se diversifier, mais rien n'est fait pour nous aider. J'aimerais que nous soyons mieux soutenus financièrement car cette diversification est aussi un apport très positif pour les jeunes et la société en général. L'approche du cheval et des sports équestres prend de l'importance tant au niveau des loisirs que des thérapies.» Quant à Martin Würsh, responsable des affaires sociales à l'USP, il met en garde: «La détention de chevaux peut être une source de revenus intéressante, et beaucoup d'agriculteurs sont tentés de se lancer. Mais il y a aussi beaucoup de désillusion, car la concurrence est grande, et les clients ont vite fait de partir ailleurs, où c'est mieux ou moins cher. Ça ne suffit pas de garder les chevaux, il faut garder les propriétaires. C'est un autre métier! Il faut donc être prudent avant de transformer toute son étable en écurie.»
Lucienne Gaillard et son époux, exploitants à Sergey (VD), au pied du Jura, en ont fait l'expérience. «Nous avons été parmi les premiers dans la région à nous lancer, il y a une quinzaine d'années, confie-t-elle. Nous avions des veaux d'engraissement que nous avons remplacé par des chevaux, ça me permettait d'avoir une activité complémentaire et de voir du monde, tout en m'occupant des enfants.» Mais aujourd'hui, elle fait marche arrière. «On en a assez! Les clients sont souvent compliqués ou le deviennent, et ils veulent toujours plus. Par ailleurs, la concurrence est devenue rude. Si nous avions voulu poursuivre, nous aurions dû nous moderniser et investir… Nous avons donc décidé de prendre des vaches allaitantes. Économiquement, c'est tout aussi intéressant et moins astreignant.»
Salaires attractifs
Sans surprise, c'est autour des grandes villes, telles que Zurich, Genève ou Lausanne que la demande est la plus forte. Avec nombre de citadins – et surtout de jeunes citadines – qui rêvent non seulement de chevaux mais aussi de proximité avec la nature. Pour les agriculteurs qui parviennent à se faire une place au soleil, les revenus provenant des équidés peuvent alors être très intéressants. Une récente étude réalisée par la Haute École suisse d'agriculture de Zollikofen (BE) estime en effet que le salaire horaire peut tourner autour de 40 francs. Et même 100 francs du côté de Zurich. Tout dépend du nombre de chevaux en pension.
Mais, évidemment, il y a des règles: «Il faut d'abord que l'agriculteur puisse produire suffisamment de fourrage pour nourrir ses pensionnaires, précise Iris Bachmann, responsable du team éthologie, détention et utilisation de chevaux à l'Agroscope. Par ailleurs, seules les grandes exploitations ont la possibilité de construire des écuries supplémentaires. Les plus petites ne peuvent que transformer des installations déjà existantes.» La législation interdit par ailleurs de construire des infrastructures telles qu'un manège en zone agricole. Reste que la spécialiste imagine que l'évolution actuelle va se poursuivre et que de plus en plus d'agriculteurs vont accueillir des chevaux, quitte à abandonner leur activité première.