MarseilleDes trafiquants de bébés devant les juges
Le tribunal correctionnel de Marseille a commencé à juger 10 personnes soupçonnées d'avoir pris part à un trafic de nourrissons, une affaire qui a éclaté en juillet 2013.

Un des hommes arrêtés en juillet 2013 dans le cadre du trafic présumé de bébés à Marseille.
C'est «un dossier de commerce d'êtres humains», a expliqué le président du tribunal à l'ouverture de l'audience, «un puzzle de 2000 pièces construit autour de quatre naissances» avec «au total, 37 faits délictueux (...) reprochés aux différents prévenus».
L'une des prévenues, Fana M., la mère d'un des bébés vendus, est absente. Au total, neuf personnes se sont présentées devant le tribunal, dont quatre comparaissent détenues. Le scandale avait éclaté en juillet 2013.
Au cœur de ce trafic, selon l'accusation, un Roumain de 35 ans, Ilie I., et les compagnons de ses trois sœurs, Valeriu R., 42 ans, Florian S., 33 ans, et Florin C., 25 ans. Tous les quatre sont poursuivis pour traite d'êtres humains et ils encourent 10 ans d'emprisonnement.
10 ans d'emprisonnement
En juillet 2013, une dénonciation anonyme attire l'attention des services de police sur un accouchement qui vient d'avoir lieu à Marseille. La mère, une jeune Roumaine qui vient de donner naissance à un garçon, a intrigué le personnel soignant par ses pleurs fréquents. Un couple est également fréquemment remarqué auprès d'elle dans sa chambre.
Selon l'accusation, il n'y a pas de doute: le couple en question, Mike et Carmen G., des gens du voyage, ont acheté le bébé qui vient de naître. Sa mère n'est autre qu'une des sœurs d'Ilie I., Daniela, dont le compagnon est Valeriu R.
Interrogés par le président Fabrice Castoldi, les quatre hommes, assistés de deux interprètes, démentent, quitte à faire parfois des réponses évasives ou peu crédibles.
Les 8000 à 9000 euros -les chiffres changent au fur et à mesure des interrogatoires dans la procédure- et la BMW que lui donnent Mike et Carmen G. après avoir récupéré son fils qui vient de naître à Marseille? «Il n'était pas question de percevoir de l'argent, j'ai pris ça comme une aide pour les funérailles de l'oncle de ma compagne», explique Valeriu R.
Démarchage actif des stériles
Valeriu Rosu est aussi accusée par une femme de «démarcher» de potentiels acheteurs en faisant des tours dans les caravanes des campements de gens du voyage, avec Ilie Ionita. «Il me serait impossible de faire ça, Dieu m'en est témoin», lance-t-il. Il va même jusqu'à inverser les rôles et suggérer que ce sont en réalité Mike et Carmen Gorgan -qui ont «acheté» son fils né à Marseille en juillet 2013- qui ont tout organisé.
Au cours de l'instruction, tous les protagonistes démentent un achat, multiplient les déclarations contradictoires mais peinent à expliquer pourquoi les époux G. ont donné en tout 9000 euros et une BMW à Valeriu R. et Ilie I., le compagnon et le frère de la maman. L'enquête fait rapidement le rapprochement avec un autre cas en Corse. Deux autres cas de vente, qui n'ont pas abouti, sont également mis au jour par les enquêteurs.
Les deux concubins, eux aussi poursuivis, mais qui comparaissent libres, finissent par reconnaître que les détails financiers de l'arrangement ont bien été négociés avant la naissance du fils de Valeriu et Daniela I., une des sœurs d'Ilie I. Selon Carmen, Ilie I. leur demande même s'ils connaissent d'autres couples qui pourraient être intéressés.
Stériles, ayant déjà tenté quatre fécondations in vitro, eux apparaissent prêts à tout pour avoir un enfant. Le jour de la naissance, ils accompagnent Daniela à l'hôpital. Aujourd'hui, leur seul but est de récupérer l'enfant, placé quelques semaines plus tard, quand ils sont interpellés après qu'une dénonciation anonyme a attiré l'attention de la police à Marseille sur ce que l'accusation tient pour un réseau «particulièrement bien organisé».
Les Corses récupèrent leur enfant
L'enquête marseillaise est très vite rapprochée d'un cas similaire survenu en Corse. Cette fois-ci, selon l'accusation, c'est un petit garçon né en mai 2013 qui a été vendu, par une autre des sœurs d'Ilie I., Fana M., et son compagnon, Florian C., à nouveau à un autre couple de gens du voyage, Marius D. et Kelly S.
Eux aussi poursuivis, Marius D. et Kelly S. ont en revanche très vite récupéré l'enfant qu'ils avaient acheté dès sa naissance: alors âgé de plus d'un an, il avait très mal vécu son placement après leur interpellation.
Deux autres cas de vente, qui n'ont pas abouti, sont également mis au jour par les enquêteurs, impliquant dans un cas encore l'enfant d'une troisième sœur d'Ilie I., et dans l'autre, l'enfant d'un autre couple.
A chaque fois, le prix oscille entre 5000 et 10'000 euros pour un enfant. Une fois l'accord passé, selon l'accusation, les acheteurs sont chargés d'accueillir jusqu'à son accouchement la mère biologique de l'enfant, acheminée depuis la Roumanie, avant de déclarer l'enfant auprès des autorités.
Jonathan D., le frère de Marius, propose, lui, 5000 euros et un véhicule à Ilie I.: «C'était pas assez, il m'a demandé 8000 euros et le (Mercedes) Sprinter», se rappelle le jeune homme à la barre, à propos d'une des deux transactions qui n'aboutira pas.