RécitDestin mondial d'un joueur de poker
Hervé Falciani est l'auteur du plus grand vol de données bancaires de l'histoire. Comme James Bond, il a été joueur au casino, séducteur, courtisé par les agents secrets. Il a négocié la vente des données et dupé la police suisse. Mais son vrai talent, c'est le grand bluff.
- par
- Titus Plattner
- Oliver Zihlmann

Aujourd'hui, l'ancien informaticien de HSBC bénéficie d'une protection policière lors de certains déplacements.
Sur la table sont posés cinq disques argentés. Hervé Falciani vient de les sortir de son sac. Dans un petit bistro de l'aéroport de Nice Côte d'Azur, le 26 décembre 2008, le Français apporte avec lui les données secrètes de plus de 100 000 personnes liées à des comptes bancaires suisses – des comptes portant sur un montant total de plus de 100 milliards de dollars. Mais ce n'est pas tout.
Dans ces quelques millimètres de plastique, se cachent des traces des financiers d'Oussama ben Laden. Les données dévoilent aussi les affaires d'un marchand d'armes de Panama, de trafiquants de diamants du sang jusqu'à Anvers, et – surtout – elles prouvent comment des milliers d'hommes d'affaires, de sportifs, de politiciens, d'artistes, de top models ou de têtes couronnées ont soustrait leur argent aux fiscs du monde entier.
A 10 heures du matin, Hervé Falciani donne enfin les précieux DVD à l'agent des impôts Jean-Patrick Martini. Par ce petit geste, il plongera la Suisse et la France dans une grave crise diplomatique; précipitera une des plus grandes banques privées de Suisse vers le gouffre; et des fiscs du monde entier récupéreront un, deux, peut-être trois milliards de dollars.
C'est le plus grand vol de données bancaires de tous les temps. Personnage principal: Hervé Daniel Marcel Falciani, né le 9 janvier 1972 à Monaco. Son père Lucien est Italien et travaille dans la banque. Sa mère, une Française, est coiffeuse. Hervé est un homme à femmes, un filou, un joueur de poker devant l'éternel. Voici son histoire.
Poker et trahison
Adolescent, Hervé travaille comme mousse sur un bateau de milliardaire. A 22 ans, il devient croupier au Casino de Monte-Carlo, avant de s'y faire engager à la sécurité. En l'an 2000, à 28 ans, il se fait embaucher trois cents mètres plus loin, par la filiale monégasque de la Hongkong Shanghai Banking Corporation Holdings – HSBC, en abrégé. Il est vif, plein d'humour, souple et apprécié. Internet est en train de devenir un média de masse. Et le jeune Hervé surfe sur la vague. En parallèle, il continue ses études à l'Université de Nice. La centrale de HSBC, à Genève, a vent des qualités du jeune homme et le fait venir en 2004 au bord du Léman.
A 32 ans, Hervé Falciani a déjà un divorce derrière lui. A Genève, il vit avec Simona C., sept ans plus jeune que lui, dans un quatre-pièces plutôt modeste, rue des Mouettes 9, dans le quartier des Acacias. Loyer: 1820 francs par mois.
Fin 2005, un an après leur arrivée en Suisse, ils ont une fille, Kim. Elle est née avec un handicap. Simona passe ses journées à s'occuper d'elle, tandis qu'Hervé Falciani est souvent absent, comme le racontent les voisins. Et cela ne tient pas qu'à son travail. Dans les bureaux open space des Noirettes 35, à Carouge, se concentrent 150 informaticiens de HSBC – un monde presque exclusivement masculin. Alors, quand en automne 2006, Hervé Falciani croise pour la première fois Georgina Mikhael, il la remarque tout de suite. La jolie Libanaise, 31 ans, 1 m 60, longs cheveux bruns, y a été détachée depuis septembre par une société de location de services informatiques de Gland (VD). «On avait des intérêts communs», dira Falciani aux enquêteurs suisses. En novembre déjà, ils débutent une liaison. «Je l'admirais, j'étais attirée par son intelligence», expliquera-t-elle plus tard au journal Le Monde. Un jour, Hervé Falciani lui confie quelque chose d'incroyable: il aurait constitué une base de données secrète avec les précieuses informations clients. Ensemble, ils pourraient les vendre et démarrer une nouvelle vie?
Le casse informatique du siècle
Entre octobre 2006 et mars 2007, Hervé Falciani a volé systématiquement des milliers de fichiers de clients de HSBC. La Police judiciaire fédérale (PJF) tentera plus tard de comprendre comment il s'y était pris. Le problème: Falciani n'était que développeur au sein de la banque et n'avait en théorie pas accès aux données des clients. Pour éclaircir ce mystère, les inspecteurs de la PJF ont dû entendre onze cadres et techniciens de HSBC entre mars et août 2009. Voilà ce qu'ils ont découvert: dès octobre 2006, commence une importante migration informatique. Et durant le week-end, Hervé Falciani est laissé seul pendant des heures devant le terminal de la banque.
Au cours de ces transferts, les données étaient certes encore cryptées, mais l'enquête a permis d'établir que ce cryptage se désactivait lorsqu'un problème technique survenait. Là, Falciani pouvait «voir toutes les données non cryptées et les télécharger, sous forme de tableaux Excel par exemple, avant de les enregistrer sur n'importe quel support». C'est l'une des conclusions du rapport final de la PJF.
On ne saura jamais comment Falciani s'y est pris exactement. Mais ce qui est certain, c'est qu'il présente un profil à haut risque, le cauchemar de tout chef de la sécurité informatique: très intelligent, brillant techniquement, avec des connaissances de l'intérieur du système, frustré au niveau professionnel et instable sur le plan personnel – un aventurier, qui a l'envie d'aller beaucoup plus haut. Et que fait un type comme ça lorsque le cryptage saute subitement? Il commence à copier…
«Il faut faire attention baby»
Reste à connaître le mobile. Hervé Falciani jure aujourd'hui qu'il voulait simplement faire éclater au grand jour le système d'incitation à la fraude fiscale mis en place chez HSBC.
Philippe Falciani, son frère, indiquera lors d'un interrogatoire qu'Hervé lui aurait fait part de son intention de vendre les informations bancaires. Georgina Mikhael, de son côté, a expliqué aux enquêteurs que son amant lui aurait promis de partir au Liban avec elle. Qu'ils pourraient y vivre avec l'argent que leur rapporterait leur coup. Que la relation entre Hervé et Simona n'allait vraiment pas bien. Qu'il voulait se séparer d'elle et payer cash la pension alimentaire. Lui nie.
Et alors que sa liaison avec Georgina dure depuis plusieurs mois, Hervé Falciani ne parvient pas à se séparer de Simona, la mère de son enfant. En 2007, il fera même le contraire, puisqu'il l'épousera. En même temps, il convainc son amante Georgina de l'aider dans son projet de vente de données. Elle lui aurait procuré une carte SIM prépayée pour que le nom de Falciani n'apparaisse pas. Il lui demande aussi de rester prudente avec les e-mails, car il arrive à Simona de les lire. Les préparatifs pour la vente des données se poursuivent. Et Hervé Falciani continue de copier secrètement les fichiers de HSBC.
La Libanaise savait-elle qu'elles étaient volées? Elle a toujours assuré que non. Mais une discussion sur Skype en mars 2007 retracée par la police suisse laisse planer le doute: «T'as pêché?» demande celle qui se fait appeler Palomino, du nom de la robe de cheval à l'apparence dorée avec une crinière blanche. Georgina est cavalière. Elle veut savoir s'il a réussi à mettre la main sur de nouvelles données. «Trois mois d'update pour address, person», répond Falciani. «Et tu ne t'es pas [fait] choper?» s'inquiète Palomino. «Manque pour l'instant accounts», rétorque l'informaticien avant d'ajouter, sur un ton cool: «Il faut faire attention baby.»
C'est le 17 juin, que les deux amants tentent pour la première fois de vendre leur butin. Georgina envoie un e-mail à Yaser Bakr, patron de Direct Marketings Services à Jeddah, Arabie saoudite. Depuis l'adresse whitepalomino@hotmail.com, elle propose au Saoudien des données financières de clients classés par pays. Et elle fixe un prix: 1000 dollars par client. Rien que pour les informations des 812 Saoudiens contenus dans son offre, Bakr aurait dû débourser pas loin d'un million de dollars.
L'erreur
Ce qui frappe dès ce premier contact, c'est que Falciani se cache derrière son amie Georgina. En plus, il l'incite à investir de l'argent dans l'affaire. La Libanaise ouvre et finance le site Internet www.palorva.com, une contraction entre «PALOmino», l'animal qu'elle aime tant, «heRVé» et «georginA». La société leur servira de couverture. Pour travailler à son projet, l'informaticien se sert de l'ordinateur portable Apple de son épouse Simona. Mais il lui faut encore absolument un serveur informatique pour avancer. Georgina lui prête 1000 euros. En échange, Hervé s'engage à financer le voyage au Liban en février 2008, au cours duquel ils vendront enfin les données. Mais une fois de plus, Hervé Falciani va se défiler.
Sur Internet, le 7 janvier à 8 h 56, il déniche des billets last-minute Genève-Beyrouth via Budapest pour Georgina et lui. Les deux allers-retours coûtent 705 euros et 78 centimes, un prix imbattable. Départ 1er février, retour le 9. Mais Hervé Falciani n'a pas assez d'argent sur sa carte de crédit. Alors il emprunte celle de son épouse. Georgina, elle, se charge de l'hébergement. Elle veut aller à l'hôtel Bel Azur, un charmant quatre étoiles avec deux piscines et un jardin, situé dans le cœur historique de Jounieh, les pieds dans la mer Méditerranée. Durant la nuit du vendredi 1er février au samedi 2, Hervé Falciani et son amante partent au Liban pour démarrer une nouvelle vie. Son épouse et sa fille restent à la maison.
En ne payant jamais lui-même, Hervé Falciani ne fait pas qu'économiser de l'argent. Il évite de laisser des traces. Pour le Liban, il prend même un pseudonyme: Ruben al-Chidiack. Mais Georgina Mikhael se présente sous son vrai nom. Il est même inscrit sur les cartes de visite qu'elle a fait imprimer avec l'entête de la société Palorva. Entre le 2 et le 4 février 2008, ils se rendent dans toute une série de banques à Beyrouth, parmi lesquelles la Byblos Bank, la FFA Private Bank SAL et la Société Générale. Seul Credit Suisse a refusé une rencontre.
Lors de ces visites, Falciani est Ruben al-Chidiack, sales manager; il pose sa fausse carte de visite sur la table; et montre sur l'écran du Mac Book de son épouse restée à Genève, les listes volées de clients. Puis Falciani explique doctement comme il est facile d'obtenir ce genre de données, le plus légalement du monde, en aspirant simplement les traces laissées par les transmissions de fax dans le deep Web. La réaction de ses interlocuteurs face à ces fadaises, oscille entre confusion totale et sidération. Personne ne veut acheter les données. Il n'y a qu'à la banque Audi que la rencontre se déroule autrement. Mais pas non plus comme prévu.
De peur que son employeur ne découvre le pot aux roses, Hervé Falciani n'avait accepté de rencontrer que des Libanais. Seulement, quand Georgina avait organisé les rendez-vous depuis Genève, elle n'avait pas réalisé que la filiale de la banque Audi à Beyrouth était dirigée par une Suissesse.
Lundi 4 février, Hervé Falciani alias Ruben al-Chidiack présente à nouveau son numéro bien rodé. Mais cette fois-ci, il a en face de lui Fatima, 47 ans, originaire du canton de Saint-Gall. Cette dernière voit ce type sorti de nulle part qui lui présente toutes ces données bancaires suisses. Elle remarque aussi le logo HSBC. Elle se méfie. Cette histoire de fax ne tient pas la route!
Le grand bazar aux données
Jeudi 14 février, quatre jours après que le duo Falciani-Georgina soit rentré de Beyrouth, l'arrestation de Klaus Zumwinkel, président de la Deutsche Post, fait les gros titres. Il est accusé d'avoir caché un million d'euros au fisc. Lui et des centaines d'autres fraudeurs ont été pris dans les filets des inspecteurs fiscaux allemands, grâce à un CD contenant des données de la banque LGT au Liechtenstein, récupéré par le Bundesnachrichtendienst, le BND. Le service de renseignements allemand avait acheté ces données pour 4,6 millions d'euros.
Peu après, le 7 mars 2008 à 13 h 21, le BND reçoit un e-mail. L'expéditeur s'appelle toomuchwalls@yahoo.fr, «trop d'obstacles». Objet du message: tax evasion. La suite est aussi en anglais et donne à peu près ceci: «J'ai la liste de tous les clients d'une des cinq plus grandes banques privées du monde. Cette banque est en Suisse et j'ai accès au système informatique.»
L'e-mail a été rédigé par Hervé Falciani, comme l'établiront plus tard les enquêteurs. Le voyage au Liban n'a servi à rien. Mais visiblement, le service de renseignements allemand achète ce genre de données…
Et effectivement, les Allemands se montrent intéressés. Falciani, toujours caché sous l'identité de Ruben al-Chidiack, est mis en contact avec une certaine Magrit Venter, du BND. Le 25 mars, il lui répond depuis l'adresse barack_j@yahoo.co.uk: «Voici quelques éléments pour mieux décrire ce que j'ai», écrit-il dans un anglais hésitant, avant de détailler son butin comme dans un bazar: «Tous les détails des clients de HSBC Private Bank SA (Switzerland), 20 130 sociétés et 107 181 personnes, 40 tables de données complètes, 70 Gigaoctet au total.»
En parallèle, Hervé Falciani envoie exactement le même e-mail promotionnel pour tenter d'accrocher les services fiscaux britanniques. Ces derniers ne sont pas intéressés. Ils sont déjà surchargés par l'affaire LGT, mais en coulisses, ils avertissent leurs homologues français. Le contact s'engage.
Tandis que Falciani jongle avec les services secrets de trois pays, des policiers suisses sont déjà en train de remonter une piste.
L'erreur commise au Liban se révélera fatale. La directrice de filiale d'origine saint-galloise de la banque Audi à Beyrouth a informé l'Association suisse des banquiers (ASB). Un certain Al-Chidiack essaierait de vendre des données volées dans une banque suisse.
Au moment où l'affaire LGT continuait d'ébranler le Liechtenstein, les banquiers se montrent nerveux. L'ASB donne l'alarme le 20 mars 2008 et une enquête préliminaire est ouverte. Seule vraie piste: les cartes de visite laissées par le duo. Evidemment, Ruben Al-Chidiack est introuvable pour les policiers suisses. Mais ils localisent immédiatement Georgina Mikhael, franco-libanaise, informaticienne, rue des Vollandes 73, 1207 Genève. Le 28 avril, son téléphone portable est mis sur écoute. Le 29 mai, le Ministère public de la Confédération prend la main et ouvre formellement une procédure pour présomption de service de renseignements économiques.
Mot de passe: rbJ0$RY3T62n_chxVBMzX…
En avril 2008, l'offre d'un certain Ruben al-Chidiack atterrit après un détour par Londres sur le bureau parisien de Roland Veillepeau, le chef de la puissante Division nationale des enquêtes fiscales (DNEF), un service d'élite. Tout de suite, Veillepeau flaire la grosse affaire, mais il veut en être sûr.
Il diligente immédiatement «une enquête préliminaire d'envergure» pour tenter de savoir qui se cache derrière cet Al-Chidiack. Est-il crédible? S'agit-il de la mafia qui voudrait faire de l'argent?
Le 28 juin, une première rencontre a lieu en France, tout près de la frontière suisse. La DNEF a envoyé l'inspecteur Jean-Patrick Martini, 55 ans, chef de la brigade des enquêtes spéciales, l'un des meilleurs agents fiscaux de la République. On le surnomme «L'apéritif», par allusion à son patronyme, mais aussi à ce que son passage annonce aux fraudeurs en termes de redressement fiscal. A la table du restaurant, il y a aussi François Jean-Louis, le chef de Martini. Il fait beau, 27 degrés à l'ombre.
Et voilà que le mystérieux Al-Chidiack se présente au rendez-vous. T-shirt décontracté, un sac à dos sur l'épaule. Martini porte un micro caché sous sa cravate. Et hors du champ de vision de l'informaticien, des agents de la DGSE sont en planque. Ils photographient Falciani sous tous les angles.
Les discussions durent bien une heure avant que l'informaticien n'accepte de livrer un échantillon des données. Cinq jours plus tard, le 3 juillet 2008 à 22 h 17 et 43 secondes, Martini reçoit sur son adresse privée un e-mail de toomuchwalls@yahoo.fr. Objet: «from ruben»; de la part de Ruben. Pas un mot dans le corps du message. Mais la pièce jointe «data.tc».
Falciani et Martini avaient convenu de ne s'échanger des données que de façon cryptée. Mais l'agent de la DNEF ne parvient pas à ouvrir le fichier. Le 7 juillet, depuis son téléphone portable privé, Martini envoie donc un SMS à l'informaticien pour se plaindre: «Bonjour. Le code ne fonctionne pas me rappeler pour précisions svp JPM». Hervé Falciani retourne le code, toujours par SMS: rbJ0$RY3T62n_chxVBMzXRGka Martini ouvre fiévreusement l'échantillon. Il contient un tableau avec les noms et les coordonnées de sept clients français de HSBC avec leurs avoirs. Jusqu'en 2010, la banque continuera d'espérer qu'il s'agit là des seules données que Falciani est parvenu à voler. Elles sont exactes au dollar près. Jean-Patrick Martini est impressionné.
Le manipulateur
Pendant ce temps, les inspecteurs fiscaux allemands sentent aussi l'odeur de l'argent au noir. Une certaine «Gina» s'était annoncée le 15 avril vers 13 h à l'inspectrice des douanes Barbara Neuhaus. Dans le dossier où cette dernière a consigné l'appel, elle précise: «Accent d'Europe de l'Est, […] a demandé de l'argent en échange de données clients». Il s'agissait de Georgina Mikhael, cornaquée par Hervé, qui appelait depuis la cabine téléphonique juste à côté du club de fitness de Falciani. Numéro d'appelant: 0041 22 343 07 99. Le 21 juillet, Falciani, sous le nom de John Barack, relance avec un e-mail.
Le Ministère des finances est averti. «Gina» rappelle le 23 juillet, mais cette fois, depuis la France. Elle jure qu'à ce stade, les données n'ont été proposées qu'aux Allemands – omettant de dire que Falciani était en pleine négociation avec les Français. Le 24 juillet, l'Administration fédérale des impôts se décide à transmettre le dossier au Wuppertal, l'un des Länder qui autorise le paiement de ce genre d'informations et qui avait justement travaillé sur les données de la banque LGT du Liechtenstein.
C'est l'inspecteur Peter Beckhoff qui prend la main. Presque trente ans d'expérience, d'une ténacité à toute épreuve, une tête brûlée; le même qui, plus tard, sera poursuivi par le Ministère public de la Confédération pour avoir incité l'un de ses compatriotes à voler des données à la banque Julius Bär. Mais dans l'affaire Falciani, Peter Beckhoff n'aura pas l'occasion d'exercer ses talents.
Les deux hommes fixent un rendez-vous début décembre à Constance, ville allemande à la frontière suisse. Manque de chance, Beckhoff se casse accidentellement la rotule et doit se faire hospitaliser. Son collègue qui prend le relais ne parle pas le français. Et l'anglais de Falciani est si mauvais que les deux hommes ne parviennent pas à se comprendre au téléphone. Le rendez-vous qui aurait pu faire d'Hervé Falciani un homme riche vole en éclat.
Fin 2008, la liaison Falciani-Georgina, aussi, est au plus bas. Elle veut savoir où il a mis le serveur informatique qu'elle a payé. Elle le questionne, devient suspicieuse. Et puis, il y a toutes ces femmes.
Depuis que Georgina a prêté son nom pour acheter une carte SIM à Hervé, la Libanaise reçoit tous les relevés. Et elle peut voir avec qui il téléphone. «J'ai identifié deux filles avec qui il est sorti, confiera-t-elle plus tard au magazine Vanity Fair. A moi, il racontait qu'il devait rentrer le soir à la maison parce que sa femme ne s'occupait pas de leur fille et qu'il devait cuisiner.»
Bien plus tard, la police suisse a interrogé les deux jeunes femmes. Sarah*, 32 ans, a confirmé qu'elle avait eu un flirt avec Hervé Falciani. C'était en avril, lors d'un tournoi de poker, juste après le voyage avec Georgina au Liban. Dans sa déposition, l'étudiante en psychologie présente Falciani comme un «personnage atypique et manipulateur» voulant toujours donner «une apparence de perfection». Quant à Mirela*, 26 ans, Falciani l'avait accostée à la piscine en été 2008, alors qu'il négociait avec Martini et les Allemands et qu'il menait déjà une double vie entre sa femme Simona et son amante Georgina. Mirela aussi a raconté à la police qu'il lui avait demandé d'acheter une carte SIM prépayée. Il avait simplement prétendu qu'il était «trop occupé».
Le 11 décembre 2008, la situation se dégrade encore. Hervé revient sur sa promesse d'être le cavalier de Georgina au bal de HSBC. Elle est déçue. De rage, elle déchire les papiers de la demande de visa libanais qu'elle avait déposée pour Hervé neuf mois plus tôt, et jette les morceaux sur le bureau du sale type qu'elle entend bien quitter. «J'en pouvais plus, dira-t-elle plus tard. C'était insupportable.» Le 19 décembre, Georgina Mikhael donne sa démission chez HSBC. La remise des clés de son appartement à Genève est prévue le 26 décembre.
La fuite
Laurence Boillat est policière par passion. Lieutenant à l'armée elle était devenue cheffe de la police judiciaire du canton du Jura à 28 ans: la plus jeune de Suisse et l'une des très rares femmes à ce poste. C'était en 1998. Dix ans plus tard, passée procureure suppléante au Ministère public de la Confédération, c'est elle qui hérite de ce qui deviendra l'affaire Falciani. Mais en automne 2008, Ruben al-Chidiack est juste un mirage et personne ne sait encore que les captures d'écran qu'il a présentées à Beyrouth contiennent de vraies données.
Le 23 octobre, elle reçoit la déposition de Fatima*, la directrice saint-galloise de cette filiale de la banque Audi à Beyrouth. Sur la planche photo qu'on lui présente, elle reconnaît tout de suite Georgina Mikhael. Le 13 octobre, puis le 10 novembre, Laurence Boillat demande les registres complets des appels des deux téléphones portables et du téléphone fixe de la jeune Libanaise. Entre le 23 février et le 30 juillet 2008, la suspecte avait été en contact plus de 500 fois avec le numéro attribué à un certain Hervé Falciani, également employé de HSBC. Serait-ce lui, le mystérieux Al-Chidiack?
Grâce à la surveillance téléphonique, Laurence Boillat apprend fin décembre 2008 que Georgina s'apprête à rendre son appartement le 26 décembre. La procureure fédérale soupçonne la Libanaise de vouloir fuir. C'est le moment de passer à l'action. Lundi 22 décembre au matin, Laurence Boillat et son escorte se rendent donc dans les locaux d'HSBC où travaille Georgina. La procureure l'interroge immédiatement, pendant que des policiers fouillent le bureau de l'informaticienne. Quelques minutes suffisent pour lui arracher des aveux: oui, Ruben al-Chidiack est le pseudonyme d'Hervé Falciani. Oui, ils sont allés ensemble à Beyrouth. Oui, ils ont proposé des données de clients de HSBC à la banque Audi. Mais le cerveau de toute cette affaire, jure Georgina, ce n'est pas elle, mais Hervé!
Peu après, la magistrate décide d'entendre cet Hervé Falciani. Il est conduit à la centrale de la police cantonale, au chemin de la Gravière 5. Là, il est interrogé pendant des heures. Mais à l'inverse de sa copine, c'est un dur à cuire. Il n'avoue rien. «Peu coopératif», note le policier pour résumer le protocole d'audition. Vers 11 heures du soir, Hervé commence à pleurnicher. Et comme il l'a déjà fait si souvent, il utilise l'excuse de sa famille. Sa petite fille de 3 ans souffre d'une forme d'autisme. Il doit s'occuper d'elle, il doit absolument rentrer à la maison. C'est la période de Noël.
Le séducteur Falciani sort le grand jeu pour tenter de faire plier Laurence Boillat – et il gagne. A cet instant, la procureure fédérale a probablement pris la décision la plus lourde de conséquence de sa carrière: elle manque la dernière occasion d'éviter que les données d'une des plus grandes banques privées de Suisse ne filent définitivement dans la nature. Elle aurait pu le garder, mais elle laisse Hervé Falciani s'en aller. Le Français avait promis de se présenter le lendemain matin, à 9 h 30 et avait l'interdiction de quitter le territoire helvétique. La justice suisse ne pourra plus jamais le coincer. Sur sa trottinette, il fonce pour rentrer chez lui à la rue des Mouettes. Le trajet dure 7 à 8 minutes. Le temps d'inventer ce qu'il va dire à sa femme Simona pour expliquer la situation. Chez lui, il réserve à la hâte une voiture Mobility sur Internet, fait précipitamment les bagages avec le strict nécessaire, embarque sa fille et son épouse et quitte l'appartement, en oubliant les clés sur la porte.
Quelques minutes plus tard, la famille Falciani passe la frontière vers la France.
Cadeau numéro 1
Nous revoici donc dans le petit bistro de l'aéroport de Nice Côte d'Azur. Nous sommes le 26 décembre 2008, 10 h du matin. Hervé Falciani a les cinq disques de plastique dans les mains. En face de lui est assis l'inspecteur Jean-Patrick Martini. Les milliards d'avoirs non déclarés de HSBC Private Bank à Genève sont à portée de main. Plus de six mois se sont écoulés depuis que Martini a reçu le premier échantillon de sept clients HSBC. Depuis, le haut fonctionnaire a pratiquement tout essayé pour obtenir de Falciani le reste des données. Sans succès.
Il a envoyé des e-mails chaleureux à «Ruben», comme il l'appelait. Pour ces échanges, il se cachait derrière l'adresse jean-patrick@martini1.fr et jean-patrick.martini@club-internet.fr. Il dorlotait son interlocuteur. Il le flattait. Rien. En automne, il avait fait le chemin depuis Paris à deux reprises, pour rencontrer personnellement l'informaticien. La dernière fois le 6 décembre, à Saint-Julien-en-Genevois, tout près de la frontière: l'endroit parfait pour des représentants de l'Etat français qui n'ont pas le droit d'agir hors du territoire national. Au cours de cette rencontre, il s'était même fait accompagner par une profileuse de la DGSE, spécialisée dans l'évaluation psychologique des nouvelles «sources». La discussion avec «Ruben» avait duré une heure et demie, avant de se prolonger par un petit-déjeuner tardif. Cette fois encore, la conversation est enregistrée en cachette. Martini lui avait même proposé de l'«exfiltrer de Suisse». Mais Ruben avait refusé.
Le 24 décembre à 15 h, voilà que Martini reçoit un cadeau de Noël inattendu. C'est Ruben qui l'appelle sur son 06, son téléphone mobile privé. L'informaticien semble avoir peur; il panique. Il aurait pris la fuite, explique-t-il. Il a besoin d'aide. Et maintenant, sous le coup de la peur, il lâche enfin son vrai nom: il s'appelle Hervé. Hervé Falciani. Les deux hommes se tutoient tout de suite. HSBC l'a licencié la veille, raconte Hervé. La procureure fédérale et des policiers l'appelleraient en permanence. Jean-Patrick Martini comprend qu'il a peut-être gagné la partie. Enfin.
L'inspecteur du fisc lui demande de lui livrer les données. Le plus tôt sera le mieux. Il trouve aussi un avocat. Finalement, Falciani accepte de rencontrer Martini à l'aéroport de Nice le 26 décembre. C'est le moment. Après huit mois de négociations, Hervé tend les cinq DVD à Jean-Patrick. L'inspecteur Martini ne s'est probablement jamais senti aussi soulagé.
Un beau cadeau de Noël à la République. Mais le destin réservera même un second cadeau à Jean-Patrick Martini, offert par le Ministère public de la Confédération.
Cadeau numéro 2… et des croissants pour Falciani
Après les Fêtes, les enquêteurs suisses sont persuadés que Falciani ne se présentera jamais de son plein gré. Le 5 janvier, la Suisse émet un avis de recherche Interpol. Dès cet instant, Falciani est fiché dans les bases de données internationales de Schengen et de Ripol. Presque partout dans le monde, on l'arrêterait au premier contrôle douanier.
Le 9 janvier, le Ministère public de la Confédération envoie au parquet de Nice une demande d'entraide judiciaire urgente. Le procureur de Nice ne sait encore rien des données de Falciani et accorde tout naturellement son assistance. Et la procureure fédérale Laurence Boillat part pour le sud de la France. A ses côtés, un commissaire et un inspecteur de la Police judiciaire fédérale. Le 20 janvier, à 7 h 10, le trio helvétique accompagné de toute une caravane de police débarque devant la maison de vacances des parents d'Hervé Falciani, située 2601A route de la Condamine, à Castellar. La commune touche la frontière italienne, située à une quarantaine de minutes de marche à travers le maquis.
Les policiers ont une autorisation de perquisition avec eux. Ils saisissent tout de suite le Mac Book Pro, trouvé dans une des deux chambres du haut, celle occupée par Hervé Falciani; dans la chambre toujours, un téléphone mobile Siemens SL 65, caché dans le premier tiroir de la commode, côté gauche; en bas, dans le salon avec cuisine américaine, sur la table basse, il y a le tout nouvel iPhone 3G, 16 Gigaoctets de mémoire, ainsi qu'un serveur de marque Qbic, posé par terre. Evidemment, les policiers niçois ne se doutent pas que tous ces supports pourraient contenir de précieuses données volées chez HSBC.
Hervé Falciani avait envoyé son épouse et sa fille chez ses beaux-parents, en Italie. Il est donc seul lorsque les Français l'emmènent pour son second interrogatoire, à la gendarmerie de Menton.
La petite route avec une dizaine de lacets jusqu'à Menton prend environ quinze minutes. Dans la voiture, Falciani supplie un policier français d'avertir de toute urgence un inspecteur de la DNEF nommé Jean-Patrick Martini. Et il ajoute à voix basse, que sur son serveur informatique, il y a des données d'intérêt national pour la République. Lors de l'interrogatoire, quand Laurence Boillat lui demande qui est ce Jean-Patrick Martini, Falciani refuse répondre.
La procureure tente au moins d'obtenir l'autorisation d'emporter avec elle les ordinateurs de Falciani. Sans dire exactement ce qu'elle pense y trouver. Les Suisses auraient du reste «entretenu une certaine ambiguïté sur leurs objectifs dans leur demande d'entraide», écriront plus tard les Français. Laurence Boillat craignait que ses partenaires étrangers ne réalisent la valeur des données. C'est pourtant exactement ce qui s'est passé.
Après plusieurs heures d'interrogatoire, pendant la pause à laquelle il a droit pour s'alimenter, Hervé Falciani parvient enfin à téléphoner. A 15 h 18, il choisit «Jeanpatrick» dans son répertoire. Pas de réponse. Deux minutes et seize secondes plus tard, Hervé essaie de nouveau. Ça y est: Martini est au courant. L'inspecteur alerte immédiatement son patron, qui lui-même intervient auprès du procureur de Nice. Alors que Laurence Boillat est toujours en train d'interroger Falciani, les policiers français apprennent quel trésor se cache sur les disques durs des ordinateurs qu'ils ont saisis dans la matinée. Pas question de les laisser partir en Suisse: raison d'Etat. Mais le pire reste à venir pour la Suisse.
Après avoir mis la main sur les cinq DVDs, Martini est confronté à un problème juridique insoluble. Il sait quel contribuable a caché de l'argent en Suisse, mais la loi française ne lui permet pas d'utiliser devant un tribunal des données volées comme celles de Falciani.
Seulement, la demande d'entraide judiciaire helvétique a fourni à la justice française un prétexte officiel pour saisir les données sur les ordinateurs de Falciani. Même volées, elles deviennent utilisables. Un rapport d'une commission de l'Assemblée nationale française le souligne non sans triomphe: «c'est ainsi que l'on a pu dire [que la demande d'entraide helvétique] les avait en quelque sorte «blanchies»». La procureure fédérale Laurence Boillat revient donc bredouille de son équipée au sud de la France. Hervé Falciani, lui, a dû passer la nuit à la gendarmerie. Au poste, l'ambiance a déjà complètement changé. Falciani reçoit une cellule VIP. Et le matin, à 8 h tapantes, le gardien lui apporte, en plus du café habituel, des croissants frais «avec les compliments de la Direction nationale des enquêtes fiscales».
L'opération chocolat
A peine est-il libéré qu'une opération sans précédent commence à la DNEF, afin de rendre exploitables les données dérobées chez HSBC. Nom de code: «Opération chocolat».
Une équipe composée de deux brigades de plus de 20 spécialistes et techniciens est déplacée à Nice et prend ses quartiers dans un hôtel en février 2009. Par moments, trois brigades supplémentaires viennent en renfort. On achète pour 300 000 euros de logiciels et de matériel. L'atmosphère est tendue. Les spécialistes ont peur d'être surveillés par des services de renseignements étrangers. L'inspecteur Martini, ne se déplace plus que sous protection policière.
Au début, les spécialistes sont totalement dépassés par la tâche. «Beaucoup de données étaient codées, il fallait comprendre les codes. C'était un travail de fourmi», expliquera plus tard Thibault Lestrade, l'un des piliers de l'équipe de la DNEF. En fait, le seul qui pouvait vraiment les aider, c'était Falciani lui-même. En six mois, les techniciens de la DNEF l'ont appelé pas moins de 102 fois pour demander de l'aide, comme on peut le constater dans les relevés de surveillance téléphonique de l'informaticien. «Sans Falciani, on n'y serait pas arrivé», dira plus tard Jean-Patrick Martini.
Le problème principal était que la banque, pour protéger la confidentialité de ses informations, séparait par exemple soigneusement les bases de données contenant le nom et les adresses des clients de celles comportant les relevés des avoirs. Falciani et les membres de «l'équipe chocolat» ne sont parvenus à relier les bases entre elles qu'après un patient travail de reconstruction. A la fin de l'été 2009, ils touchent au but et disposent d'une liste de 106 682 personnes physiques et 20 129 personnes morales. Ce sont précisément ces données qui ont été utilisées comme arme secrète contre des contribuables de dix pays au moins, ces cinq dernières années. En France, les autorités ouvrent les feux en août 2009, avec une liste de 2956 personnes. Le 27 août, dans les salons du Bernerhof, le président de la Confédération Hans-Rudolf Merz et la ministre française de l'Economie, Christine Lagarde signent un avenant à la convention contre les doubles impositions en matière d'impôts. Cet accord permettra aux autorités françaises d'obtenir l'entraide administrative de la Suisse, également en cas de soupçon de fraude fiscale. Christine Lagarde assure, la bouche en cœur, qu'aucune «fishing expedition» n'aura lieu dans les banques suisses. Quarante-huit heures plus tard, le ministre du Budget français Eric Woerth annonce que ses services possèdent une liste de 3000 noms et adresses de fraudeurs présumés ayant des comptes en Suisse. Dans le quotidien L'Agefi, le CEO d'HSBC Private Bank à Genève, Alexandre Zeller, considère cela comme «du bruit fait par les autorités françaises».
Seulement, quelques semaines plus tard, le 9 décembre 2009, le journal Le Parisien affirme que les 3000 noms viennent exclusivement de chez HSBC. Quatre jours plus tard, l'ancien informaticien Hervé Falciani se pavane devant les caméras de France 2 et explique au monde entier que le voleur de données, c'est lui. En Suisse, le Conseil fédéral, les partis et surtout les banques sont consternés. La tension entre la Suisse et la France est à son comble. Et ce n'est qu'après une série d'ultimatums qu'une copie des données saisies à Castellar est transmise à la justice helvétique, en janvier et en mars 2010.
Chargé de leur analyse, Cédric H., spécialiste au Commissariat Enquêtes informatiques de la Police judiciaire fédérale, voit tout de suite que ces données sont en tout point conformes à celles de la banque. Cette dernière est avertie. Dans une lettre envoyée le 11 mars 2010 à ses clients, HSBC explique benoîtement: «Vos conseillers pourront […] vous aider à revoir votre situation patrimoniale.» Plus loin, la banque admet que la quasi-totalité de ses données ont été volées et peuvent se trouver en mains du fisc. Ce qui ne va pas manquer d'arriver. Aux Etats-Unis, en Italie, en Grèce, en Allemagne, en Espagne, en Irlande, en Belgique, au Canada, en Grande-Bretagne, en 2010, puis en Inde, en Argentine, etc. Rien qu'en octobre 2014, trois de ces pays ont entamé des poursuites contre HSBC et d'autres pourraient leur emboîter le pas.
Dans cette guerre économique qui se joue, Hervé Falciani n'est plus que spectateur. En 2012, il a encore une fois joué la guest star, quand la police espagnole l'a arrêté au port de Barcelone, à cause du mandat d'arrêt international émis par la procureure Laurence Boillat.
Épilogue
Parce que Falciani n'a pas réalisé qu'un contrôle douanier serait effectué à son arrivée par bateau, contrairement aux passages par la route entre la France et l'Espagne, il a dû croupir six mois à la prison de Valdemoro, près de Madrid. Le Ministère public de la Confédération ne s'est jamais fait de grandes illusions. Et comme attendu, le 8 mai 2013, un tribunal espagnol le libère définitivement. Les fiscs du monde entier lui devaient bien ça.
Hervé Falciani, a profité de son incarcération pour apprendre l'espagnol. Et il rebondit à sa sortie en se présentant aux élections européennes de mai 2014 pour le tout nouveau Partido X. Il ne sera pas élu, mais aura au moins fait un tour de piste. Le 11 décembre 2014, le MPC l'a finalement mis en accusation. Un procès – très certainement in abstentia – se tiendra à la fin de 2015 au Tribunal pénal fédéral de Bellinzone.
Falciani est retourné en France et son domicile est tenu secret. De quoi il vit exactement n'est pas clair. Lui-même, et bientôt l'entier de l'administration française, a assuré qu'il n'avait pas été payé. Il ne l'aurait même jamais demandé. Mais, sur ce point comme sur bien d'autres, le joueur de poker Hervé Falciani restera une énigme. Dimanche dernier dans le reportage que lui consacrait «60 minutes», l'émission phare de la chaîne américaine CBS, à l'occasion du lancement de SwissLeaks, le présentateur Bill Whitaker a demandé au voleur de données: - Est-ce que vous vouliez être payé pour ça? - Bien sûr que je le voulais. Je le méritais.
Un peu plus tôt, des reporters du journal Le Monde avait également réalisé une longue interview avec lui. Et une nouvelle fois, il avait modifié sa version de l'histoire: il laisse entendre que la CIA l'aurait aidé à voler les données. Mais plus grand monde n'y prête attention. Il a déjà trop bluffé et arrangé la vérité.
Pourtant, au bout du compte, le Français n'a pas si mal joué avec les cartes qu'il avait en mains. Et le destin lui a attribué un rôle qui convient finalement assez bien avec l'idée qu'il doit se faire de lui-même: aux yeux de la majorité, Hervé Falciani est un héros.