GRAND PRIX HISTORIQUE 2018Exploit romand à Monaco
Le pilote Genevois Anthony Sinopoli termine au 3e rang avec une Maserati de 1936 après une course épique
- par
- Philippe Clément

Anthony Sinopoli et sa Maserati 6CM/4CM de 1936 ont fait des merveilles à Monaco
L'univers fait décidément bien les choses... Imaginez que vous soyez pilote de course, que vous ayez été sacré champion suisse de Formule 3 et que, pour mille et une bonnes raisons, vous ayez depuis mis un terme à votre carrière sportive. Imaginez, ensuite, qu'un ami pousse un jour votre porte et vous propose un volant pour disputer une des courses les plus mythiques du monde: la Serie A du Grand Prix historique de Monaco 2018, catégorie «Voitures de Grand Prix d'avant-guerre». Elle n'est pas belle, la vie?. On connait tous le gag du type qui dit "Je ne suis pas superstitieux, ça porte malheur!".

Anthony Sinopoli
Le moins que l'on puisse écrire c'est que le pilote genevois Anthony Sinopoli, lui, n'est pas superstitieux pour un sou. Puisque c'est très exactement 13 ans après sa dernière course officielle que Sébastien Bottinelli, un passioné qui possède plusieurs bijoux mécaniques anciens, vient le trouver avec une proposition impossible à refuser: piloter, dans le cadre du Grand Prix historique de Monaco, une Maserati 6 CM/4CM de... 1936. Pour Anthony, que le virus du pilotage n'a jamais quitté, c'est le début d'une extraordinaire aventure.

Anthony Sinopoli et la Maserati 6CM/4CM: une association qui s'apprête à faire des étincelles.
Mais d'abord, il faut soigner la monture. Datant de 1936, donc, la voiture est unique: au lieu de son six cylindres d'origine, elle a été équipée d'un moteur quatre cylindres auquel on a adjoint un compresseur, pour augmenter sa puissance. Ainsi modifiée, elle développe 175 chevaux et peut atteindre les... 210 km/h! Pas mal, pour une vénérable grand-mère de la route. Seulement voilà, depuis le temps qu'elle est à la retraite, la vieille dame a besoin d'une sérieuse cure de jouvence si elle entend se remettre à jouer les allumeuses.
C'est là que Gianni, le père d'Anthony et patron du garage GSGS Racing Concept à Gingins, et Gaëtan, son mécanicien de choc, entrent en scène. On démonte, on révise, on répare, on accorde. Comme un Stradivarius mécanique. Petit à petit, cette reine de la route retrouve tout son éclat. Le 19 mars, c'est le premier galop d'essai: la voiture monte dans sa remorque, direction le circuit de Bourg-en-Bresse en France voisine. Histoire de lui dérouiller les cylindres. Et de permettre, accessoirement, au pilote de se familiariser avec la conduite d'un monstre de près de 4 mètres, qui pèse 700 kilos mais qui n'est freiné que par des freins... à tambour.

Pourtant à la pointe de la technologie de l'époque, la Maserati n'a que des freins... à tambour.
Et puis la mécanique n'est pas une science exacte: alors que la diva démarrait au quart de tour, tant qu'elle était bien au chaud dans son garage, elle fait des caprices. La bise est mordante et le mercure ne dépasse pas trois degrés? Malgré le préchauffage de son impressionnant bloc au moyen d'eau chaude en circuit fermé, rien à faire! Madame la diva refuse de démarrer. Fin du match? Que nenni! Face à la pire des mauvaise volonté mécanique du monde, une corde de remorquage et... un gros pick-up font l'affaire.

Les tuyaux servent à faire circuler de l'eau chaude, pour préchauffer le moteur.
Après trois tours de parking tractée comme une vulgaire remorque, vexée, la star cesse de se faire prier. Et émet un rugissement propre à ravir tous les amoureux de mécanique présents. Après des années d'inactivité, cette ancienne reine des circuits daigne montrer les facettes de son talent. Et au bout de quelques dizaines de tours au volant, Anthony est lessivé. Mais ravi. La direction est ultradure et les freinages hautement aléatoires certes mais, de l'avis du pilote, les dérobades du train arrière sont d'une franchise proverbiale.

Sur la piste, Anthony n'a pas chômé: à l'arrivée, le pot de la Maserati est rouge!
On procède à quelques derniers réglages fins, remballe la merveille dans sa remorque et remet le cap sur Gingins. Prochaine étape: Monaco!

Quelques derniers réglages fins et hop: direction Monaco!
Mercredi matin, donc, cap sur le Rocher. Confortablement installée dans sa remorque, la star est prête. Ne reste plus qu'un «léger détail»: le contrôle technique. Il prendra près de... cinq heures! À quelques minutes du départ de la première séance d'essais libres, l'autocollant «FIA agréé» est enfin collé sur les flancs de la belle. Départ!

Sur le port, la diva semble déjà dans son élément.
Découvrir un circuit normal n'est jamais simple. Mais quand il s'agit de trouver ses repères dans les entrelacs serrés et néanmoins urbains du tracé monégasque, c'est encore plus dur. Les concurrents le répètent à l'envi: «C'est ta première fois ici? Tu vas voir, c'est très compliqué...» Compliqué? Sans aucun doute. Mais la voiture n'est pas la seule à avoir du potentiel. Au terme de ces premiers runs, Anthony pointe au 4e rang, à deux secondes et demi du premier en 2:10.616. Pas mal pour une première! Surtout quand on sait que les trois voitures de tête affichent... 100 chevaux de plus que la Maserati.


Les essai qualificatifs du samedi commencent par plomber un peu l'ambiance. Malgré ses efforts, Anthony tourne toujours en 2:09 - 2:10. Et les Era tournent toujours plus vite. Derrière le mur, au niveau du stand, Gianni commence à se dire que son fils ferait mieux de rentrer, pour préserver l'état mécanique de la Maserati en vue de la course de demain.

C'est le déclic... Gaëtan regarde une fois, puis deux l'affichage des chronos en temps réel. Incroyable: en un tour, Anthony vient de gagner près de... quatre secondes: passant de 2:10.616 à 2:06.931. Le troisième n'est plus qu'à une poignée de dixième devant. Dans son micro, le speaker officiel ne cesse de vanter les prodiges réalisés par ce Sinopoli et son incroyable voiture rouge numéro 32 que l'on voit en grand sur l'écran géant de la Piscine...


Le lendemain, tout est possible. Même... l'impensable. à quelques centièmes de l'extinction des feux, le troisième anticipe son départ. À côté, Anthony, encore en train de se demander ce qu'il fait... rate l'extinction des feux et part avec un temps de retard: deux places de perdues! Pire: à la réaccélération sur la montée du Casino, au moment de remettre les gaz, miss Maserati... coupe! Puis repart! Chaud devant. Déchaîné, le Genevois attaque tant et plus. Remonte un, puis deux des concurrents qui avaient profité de son départ raté. Devant, Sinopoli est déjà parti à l'assaut de la ERA R4A qui pointe en troisième position. Et le speaker de s'extasier à nouveau devant le coup de volant du Romand. Sur la chaîne de «Goodwood Classics», le commentateur va même jusqu'à regretter que Lewis Hamilton ne soit pas présent pour assister au prodige que le Genevois réalise au volant. En pleine bagarre, alors qu'Anthony revient presque sur son adversaire, coup de théâtre: pour départ anticipé, la ERA numéro 24 hérite d'une pénalité de passage dans les stands. Cette fois c'est sûr, Anthony et sa Maserati sont troisièmes.




Après neuf tours de sprint, l'indication «dernier tour» est envoyée. Les freins commençant à donner des signes de faiblesse, le Genevois ralentit, se contentant de gérer. Mais au moment de passer la ligne, pas l'ombre d'un drapeau à damiers! On repart donc pour une boucle. Mais la Maserati ne freine quasiment plus... Après quelques virages, Anthony voit les commissaires lui agiter des drapeaux bleu. Derrière, l'ERA pénalisée revient en trombe et il lui demandent de laisser passer. Mais le podium est en jeu. Il se bat, attaque, retarde ses freinages. Trop. Une ultime manoeuvre déséquilibre la voiture qui part en tête-à-queue. D'un coup de volant magique il la reprend avant qu'elle n'aille taper le rail de sécurité... et repart de plus belle! La diva glisse, tressaute, dérape. La lutte dure jusqu'au bout. Et même un peu plus loin: trosième place en jeu, l'équipe saisit la direction de course qui, après examen, reconnaît son erreur: la course a duré un tour de trop. Anthony et la Maserati sont bien sur le podium!
Une consécration qui a plongé la petite équipe dans une joie sans bornes. Dont est sortie une nouvelle idée. Pourquoi pas remettre ça, dans un autre trophée historique, au volant d'une ancienne F1... un peu plus récente que Miss Maserati. Affaire à suivre.