Berne: Face à la Chine conquérante, la Suisse a mal à son Tibet

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BerneFace à la Chine conquérante, la Suisse a mal à son Tibet

Le rapprochement économique entre la Suisse et l'Empire du Milieu inquiète la communauté tibétaine en exil, qui craint de perdre ses droits et sa protection.

Eric Felley
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Eric Felley
En septembre 2018, le Dalaï Lama est venu pour fêter les 50 ans de l'institut de Rikon. Le leader spirituel du bouddhisme tibétain conserve une aura importante en Suisse. De quoi agacer la Chine officielle.

En septembre 2018, le Dalaï Lama est venu pour fêter les 50 ans de l'institut de Rikon. Le leader spirituel du bouddhisme tibétain conserve une aura importante en Suisse. De quoi agacer la Chine officielle.

Cela va faire 60 ans que les premiers Tibétains se sont réfugiés en Suisse. Sa diaspora est aujourd'hui la plus importante d'Europe et la troisième au monde après celle de l'Himalaya et des États-Unis. Actuellement cette communauté compte environ 8000 personnes, d'après les chiffres communiqués lors de la venu du Dalaï Lama à Zurich en 2018 pour fêter les 50 ans de l'institut tibétain de Rikon.

Identité contestée...

Dimanche, 10 mars 2019, marquait la date des 60 ans du soulèvement contre la Chine et le début de l'exil pour les Tibétains. Lundi à Berne, le groupe parlementaire Tibet a saisi l'occasion pour faire part de son inquiétude à l'heure des questions. Essentiellement en Suisse alémanique, la communauté tibétaine est inquiète de la tournure prise par les relations entre la Chine et la Suisse. Avec la signature de l'accord de libre-échange, certaines choses ont changé. La conseillère nationale Barbara Gysi (PS/SG) le constate sur les documents d'identité des personnes. Avant, ils indiquaient «Tibet», «apatride »ou «Tibet (Chine)». Aujourd'hui seulement «Chine», alors que les Tibétains refusent l'idée d'être des citoyens chinois.

Une mention pas autorisée

Dans sa réponse, le chef du Département des affaires étrangères (DFAE), Ignazio Cassis, rappelle que, à l'instar de nombreux pays occidentaux, la Suisse reconnait la «Chine unique», c'est-à-dire Tibet compris: «Le Tibet n'étant pas reconnu comme un État indépendant, précise-t-il, mais considéré comme faisant partie de la Chine, la mention du Tibet sur les permis de séjour n'est pas autorisée. Cela devrait également garantir que tous les membres des minorités ethniques étrangères en Suisse soient traités sur un pied d'égalité».

«Offensive de charme»

Fabian Molina (PS/ZH) demande ainsi au Conseil fédéral de revoir cette notion de «Chine unique», qui tolère des agissements à l'encontre des organisations tibétaines et place les demandeurs d'asile tibétain «dans une situation sans issue». Rosemarie Quandranti (PBD/ZH), coprésidente du groupe parlementaire Tibet, fait part d'une inquiétude plus générale: «Derrière l'offensive de charme mise en oeuvre par la Chine se cache son intention d'exercer son influence sur d'autres Etats». Elle évoque les rachats d'entreprise ou l'instauration d'un état de dépendance «par des méthodes dites douces».

Influence chinoise grandissante

Maya Graf (Verts/BL) se demande s'il y a une politique coordonnée dans les relations avec les cantons, les institutions, les villes qui font des partenariats avec le Gouvernement chinois. Lisa Mazzone (Verts/GE) relève que l'Australie et la Nouvelle-Zélande ont pris des mesures pour bloquer l'influence chinoise à travers la reprise d'infrastructures ou de la presse du pays. Enfin, Doris Fiala (PLR/ZH) constate que la rapporteuse spéciale des Nations Unies n'est pas la bienvenue en Chine. Elle demande à ce que la Suisse s'engage davantage auprès du Conseil des droits de l'homme.

«Une politique de diversité»

Pour le chef du DFAE, la situation est sous contrôle: «Le Conseil fédéral est conscient des défis susmentionnés et évalue soigneusement les opportunités, les intérêts et les risques liés aux relations avec la Chine. Dans le cadre de sa stratégie de politique étrangère 2016-2019, le Conseil fédéral poursuit une approche de la diversité à l'égard de la Chine. La Suisse entretient des échanges réguliers sur l'économie, la science, l'environnement, les droits de l'homme ou l'intégration de la Chine dans le système multilatéral.»

La manière confidentielle...

Concernant le respect des minorités, Ignazio Cassis rappelle la récente intervention de la Suisse : «Au Conseil des droits de l'homme des Nations unies du 6 novembre 2018, lors de l'Examen périodique universel de la Chine, la Suisse a recommandé au gouvernement chinois que les «camps de rééducation» dans le Xinjiang respecte pleinement les droits des Tibétains». Et d'ajouter: «Le dialogue sur les droits de l'homme entre la Suisse et la Chine est un outil important depuis 1991 pour traiter cette question et d'autres questions relatives aux droits de l'homme de manière confidentielle». C'est peut-être cette confidentialité des discussions, qui inquiète plutôt que rassure finalement les Tibétains de Suisse.

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