ArtFolie des grandeurs
L'artiste romande Camille Scherrer voit le monde en grand et en poésie.
- par
- Josiane & Josette

Boum. Tchak. Bam. Boum. Tchak. Bam. Comme des boîtes à meuh qui vont et viennent en lâchant leur son reconstitué étrange, trois chaises à bascule entrent en résonance et composent leur propre partition sur le grand patio du Rolex Learning Center. Ça beugle comme ça une vache ? Meubles pastel gyroscopiques pour géants, les fauteuils sont là depuis la fin du mois d'avril. Leur conceptrice, Camille Scherrer, est l'artiste EPFL de l'année. Ça mérite une petite rencontre avec les JJ!

©EPFL - Murielle Gerber
Elle fonctionne à l'instinct, elle répond à l'instant. Née sous un sapin, elle ne s'éloigne jamais bien loin de sa montagne et puise énergie et inspiration dans ce qui l'entoure : les arbres, les animaux, les traits traditionnels d'une frise avec des vaches et des armaillis. Ce n'est pas la première fois que nous croisons la route de cette jeune femme pleine de talent, d'envie et d'humour.

Nous avons eu le plaisir de découvrir son travail lors de son projet In the Woods, rencontre poétique et interactive avec des créatures enchantées qui se mêlaient à nos propres ombres. Virtuose de l'ordinateur, Camille se considère plus comme une designer que comme une artiste. Elle aime les contraintes qu'impose l'utilisation de l'objet, ce cadre invisible représente un challenge et propulse sa créativité. Tout problème doit absolument trouver une solution, c'est simple, direct, terre à terre, l'inventivité vient finalement des barrières qui s'imposent. D'ailleurs, ce qu'elle crée n'a pas forcément besoin de véhiculer un message, une idée philosophique ou politique et si c'est le cas, c'est plutôt fortuit. Camille veut juste appeler à sourire, à un peu de légèreté.


Depuis son diplôme à l'ECAL, ses créations font le tour du monde, de Séoul à New-York, en passant par Istanbul ou Vevey. Installations numériques, mapping, livres à la réalité augmentée ou même graphisme pour de grandes marques, Camille ne refuse rien. Elle l'avoue, elle est workaholic et n'arrive pas à refuser une proposition de travail qui l'enthousiasme. Avec la notoriété et le succès grandissant de la demoiselle, les budgets augmentent et avec eux les possibilités de se lancer dans de nouvelles formes d'expression.

Avec ce projet pour l'EPFL, elle invite le campus à la détente et au jeu collectif. La musique inventée par les chaises et leurs occupants se diffuse au-delà de leurs barreaux et vient titiller les oreilles des étudiants. Avec leurs douces couleurs, les chaises créent un univers réconfortant qui rappelle celui de l'enfance. Et pourquoi ce passage de la réalité virtuelle et des écrans à de tangibles et imposantes pièces bien réelles ? Camille n'est pas designer industrielle mais elle ajoute de nouvelles cordes à son arc en se lançant un défi d'envergure. Et puis elle n'est plus seule dans sa grange en pyjama, elle rencontre et dirige différents corps de métier, apprend dans les ateliers de ces bons gaillards qui collaborent à son projet. Elle a saisi cette perche, cette opportunité qui lui a été proposée, elle a suivi son instinct. Le loup solitaire au fin fond de sa montagne a sorti le bout de son museau pour inspirer les futurs ingénieurs, architectes, concepteurs de ce monde.

©EPFL - Murielle Gerber
Et si les chaises se balancent c'est surtout parce qu'elles ont passé leur crash test, sachez-le... Les deux filles et la grand-mère de Camille ont testé, compris, pas besoin de notice, et approuvé, banco, les pièces seront exposées. Ce n'est pas plus compliqué que ça. Pourquoi est-ce qu'une artiste devrait obligatoirement être torturée, hein? On a bien besoin de rêver aussi ! Une petite sieste sur le campus, ça vous tente?