GenèveFouille importante d'un site palafittique
Sur les 111 sites palafittiques préhistoriques autour des Alpes inscrits à l'UNESCO, 56 figurent en Suisse et trois à Genève.
A Genève, le chantier de la plage des Eaux-Vives permet aux archéologues d'effectuer une importante fouille dans le Léman. La dernière avant longtemps. Car les sites palafittiques protégés par l'UNESCO ne peuvent pas être touchés.
Sur les 111 sites palafittiques préhistoriques autour des Alpes inscrits au patrimoine mondial de l'UNESCO depuis 2011, 56 figurent en Suisse et trois à Genève. Le canton compte aussi douze sites associés. Paradoxalement, la mise sous protection de ces sites littoraux empêche toute fouille archéologique, sauf s'ils sont menacés de destruction.
C'est le cas de celui dit «La Grange», un site associé. Il se situe dans la Rade de Genève, à quelques mètres du parc éponyme. Le canton construit là la future Plage des Eaux-Vives qui doit être inaugurée en été 2019. Une aubaine pour les archéologues et préhistoriens Pierre Corboud et Christiane Pugin, qui disposent de quatre mois, jusqu'à fin avril, pour fouiller une surface de 5000 m2.
500 à 1000 pilotis
La zone à excaver se situe à trois mètres en dessous du niveau du lac. L'eau est retenue par d'imposantes palplanches, ce qui permet aux archéologues d'explorer le site à sec. Une pelleteuse a retiré les remblais qui avaient été mis dans le lac avant 1921, lors de la création du quai, indique Pierre Corboud, responsable de la fouille. Les galets de la plage préhistorique ont aussi été enlevés.
Le connaisseur remarque de nombreux pilotis qui affleurent au niveau de l'argile glaciaire. «Nous estimons qu'il y en a 500 à 1000», précise l'archéologue. Mais cette vue d'ensemble ne permet ni d'ébaucher des hypothèses ni de tirer des conclusions. Seules des analyses dendrochronologiques dateront ces vestiges, car plusieurs phases de construction peuvent se superposer.
Les agriculteurs-éleveurs du Néolithique et de l'âge du Bronze s'installaient près du lac, dont le niveau était plus bas qu'aujourd'hui. Le terrain permettait de planter facilement les piliers des maisons. «Une maison durait environ 20 ans, puis la toiture en chaume ou en plaquettes de bois s'abîmait. Après plusieurs cycles de 20 ans, les habitants se déplaçaient», explique le spécialiste.
Intégralement préservés
Cartographiés, ces pieux sont retirés doucement au moyen de câbles. «Ils ont été enfoncés par rotation jusqu'à deux mètres de profondeur. L'argile crée une succion phénoménale», note M. Corboud. L'absence d'oxygène dans l'argile les a intégralement préservés. Les traces de coups de hache en pierre polie sont encore visibles sur les troncs.
Les piliers sont nettoyés à l'eau, photographiés, mesurés, décrits, étiquetés puis examinés. «Le dernier cerne du bois permet de connaître l'année et parfois la saison d'abattage», précise l'archéologue. Une rondelle de 10 cm de large est alors envoyée au Laboratoire romand de dendrochronologie, à Cudrefin (VD).
Palissade protectrice
Les premiers résultats sont tombés à la mi-décembre. Les troncs de chêne déjà analysés remontent à 2602 avant Jésus-Christ, soit au Néolithique final. Leur taille et leur disposition font dire à M. Corboud qu'ils formaient une palissade, construite pour protéger les habitations des tempêtes de bise. «Apparemment, cela n'était pas suffisant, et les habitants seraient partis», avance-t-il.
Le spécialiste s'interroge sur le lien entre ce village et celui occupé de 2947 à 2791 av. J.-C., découvert en 2003 à une centaine de mètres de là, dans le parc La Grange. «Une continuité entre les deux serait intéressante», relève-t-il. Mais la moitié du site archéologique de La Grange, répertoriée avant la construction de la promenade, ne révélera peut-être jamais ses secrets: elle est située sous le quai.