Football: Gheorghe Hagi: «La technique bat toujours la force»

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FootballGheorghe Hagi: «La technique bat toujours la force»

L'homme au pied gauche de feu et au caractère volcanique, a réussi son pari. L'académie qu'il a fondée en 2009 est devenue championne de Roumanie cet été, détrônant tous les puissants. Interview.

Tim Guillemin
Martigny
par
Tim Guillemin
,
Martigny
JeF Briguet

Du joueur Gheorghe Hagi, on se rappelle bien sûr de ce pied gauche magnifique, qui lui a valu le surnom de «Maradona des Carpates». Mais Gica est plus qu'un magnifique joueur. Il est aussi un homme qui a des convictions. Et qui a prouvé qu'il pouvait les appliquer en créant le Viitorul («Avenir») Constanta et en l'amenant au sommet du football roumain.

Pourquoi avoir créé votre académie, il y a huit ans maintenant? Après votre immense carrière et avec votre notoriété, vous auriez pu prendre du bon temps, non?

Tout simplement pour rendre au football ce qu'il m'a apporté. Ce jeu m'a tout donné. Le plaisir, les émotions, la notoriété, la richesse. Tout. Le football, c'est toute ma vie. Je voulais, et je veux toujours, que chaque gamin roumain ayant du talent puisse devenir footballeur. Sur son seul mérite. Pas parce que ses parents ont plus d'argent ou de meilleures relations. C'est pour cela que j'ai ouvert cette académie. Avec une idée de justice devant les yeux.

Et vous voilà champion de Roumanie avec ces gamins huit ans plus tard! Cela doit être une fierté immense, non?

C'est tout simplement la récompense du travail bien fait. On a travaillé chaque jour, chaque minute, chaque seconde. Donc, je ne peux pas dire que le succès m'étonne. Quand je m'engage dans un projet, c'est pour gagner. Arriver au sommet. En cinq ans, on est montés en première division. Ensuite, on a gagné le titre. Ce n'était pas un objectif, simplement un résultat. Un beau résultat. (Sourire.) Mais à côté de ça, nos équipes juniors sont aussi régulièrement championnes. Et 35% de l'équipe nationale de Roumanie provient de mon académie. Cela aussi, c'est un résultat.

Vous êtes le fondateur et propriétaire du Viitorul Constanta, mais aussi son entraîneur…

(Il coupe.) Je n'en ai pas toujours été l'entraîneur. Je pourrais très bien imaginer quelqu'un d'autre à ma place. Mais pour l'instant, la meilleure personne pour le poste, c'est moi. (Rires.)

Combien de jeunes votre académie compte-t-elle?

Environ 250, sans compter ceux de la première équipe. Ils sont âgés de 7 à 18 ans. Entre 7 et 12 ans, ils viennent de la région de Constanta. Dès 13 ans, ils viennent de toute la Roumanie.

Comment les sélectionnez-vous?

Ah ça, mon ami, c'est mon secret. (Rires.) C'est la différence entre vous et moi. C'est l'œil.

Parlons justement de ce qui vous a rendu spécial, si vous le voulez bien. Déjà, il y a ce pied gauche d'une précision phénoménale. Un cadeau de Dieu ou le fruit du travail?

Contrairement à ce que beaucoup de gens croient, j'ai énormément travaillé dans ma carrière. Il n'y a pas de hasard. J'ai répété les mêmes gestes, encore et encore.

Mais quand même, il y a une part d'inné, non? On peut s'entraîner aussi fort qu'on veut, on ne sera jamais Gheorghe Hagi…

Disons qu'à la base, c'est ma maman qui a fait le travail, d'accord. Mais j'ai exploité le cadeau qu'elle m'a fait, croyez-moi.

Quand on vous voyait jouer, on avait toujours ce sentiment que vous étiez plus malin que les autres…

Depuis tout petit, j'ai compris que la technique battait toujours la force. Toujours. Le football, c'est d'abord de la technique. À 100%. C'est elle qui fait la différence. Mais la technique, ce n'est pas simplement les pieds. C'est le cerveau aussi. J'ai toujours aimé entraîner mon cerveau.

Vous aviez un gros caractère. Une tronche, comme on dit. Cela ne manque pas aujourd'hui, avec la génération actuelle de joueurs?

Ce qui me frappe plutôt, c'est le manque d'ambition. Ils aiment jouer au football, mais ils n'ont plus cette volonté de se faire mal pour s'améliorer et arriver tout en haut. Celle que l'on m'a inculquée dans ma jeunesse. C'est un des messages que je fais passer dans mon académie. Je veux leur amener ma mentalité, celle qui a fait de moi un grand joueur.

Justement on dit de vous que vous êtes le «Maradona des Carpates». Mais ce n'est pas plutôt lui, le «Hagi de la pampa»?

Non, parce qu'il était là avant! (Rires.) Je rigole, bien sûr. J'ai énormément de respect et d'admiration pour lui. J'ai toujours été honoré de cette comparaison avec lui.

Où vous situez-vous dans la légende du jeu?

Plusieurs classements ont été établis à la fin du XXe siècle, que ce soit par la FIFA ou des journaux. J'étais toujours dans le top 100 de tous les temps. Ce n'est pas moi qui ai effectué ces classements, donc je peux être objectif là-dessus. Ce qui est sûr, c'est que je suis fier de ma carrière et des titres gagnés.

Ce que vous êtes en train de réaliser avec votre académie, c'est encore plus fort?

Disons que c'est ce que j'ai fait de mieux depuis que j'ai arrêté de jouer. (Rires.)

Ce n'est pas fatigant, à force, d'être une star et d'être constamment sous la lumière des projecteurs? Vous n'aimeriez pas être tranquille des fois, simplement profiter de la vie sans être constamment sollicité?

Peut-être... Mais vous savez, je suis quelqu'un de normal. J'aime le football et ma famille, comme tout le monde. Je suis très simple. J'ai une vie tout à fait simple, dans le fond.

Vous vous rappelez de ce jour de 1994, où la Suisse bat la Roumanie à la Coupe du Monde? Plus de vingt ans après, on en parle encore comme l'un des plus exploits du football suisse…

Oui, bien sûr. On avait perdu 4-1 contre une très belle équipe de Suisse. Une belle génération, talentueuse, disciplinée.

Vous vous étiez ensuite inclinés en quarts contre la Suède, aux tirs au but. On imagine que c'est le plus grand regret de votre carrière, non? La Roumanie était tellement forte cette année-là…

J'ai passé 18 ans en équipe nationale. J'y ai passé de magnifiques moments et je préfère me rappeler de ceux-ci. En 1994, nous étions très forts. Nous aurions pu devenir champions du monde, j'en suis persuadé. Il aurait fallu un peu plus de chance, c'est tout. C'est le sentiment que nous avons tous. Mais c'est ça, le football… Il faut être fair-play et accepter ce résultat. Maintenant, il faut travailler pour ramener la Roumanie à ce niveau. C'est ce que je fais.

Vous pourriez entraîner en même temps la Roumanie et le Viitorul?

Non, non. Je ne peux pas être concentré sur deux tâches aussi prenantes. Je ne peux pas imaginer cela. Mais je me vois bien reprendre une équipe nationale ambitieuse et gagner. C'est ça mon ambition. J'ai toujours voulu gagner. C'est ça, la patte Hagi.

Votre fils Ianis, 18 ans, est aujourd'hui à la Fiorentina. On a lu dans une de vos interviews récentes que vous estimiez qu'il était plus fort que vous au même âge. Vous maintenez?

Ianis est très talentueux, aussi bien mentalement que footballistiquement. Nous sommes des joueurs différents, lui et moi, mais c'est mon fils à 100%, il n'y a pas de doute (rires). Le cerveau, c'est le même. Il est fort et ambitieux et il sait qu'il est obligé de travailler beaucoup et de faire des sacrifices s'il veut réussir. Il est prêt à faire la guerre pour sa carrière. Il est très apprécié à la Fiorentina, où il s'est bien adapté. Je pense qu'il va beaucoup jouer avec eux. Et allez savoir, le Ballon d'Or, c'est peut-être lui qui va l'avoir (rires).

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