JUSTICEGuantanamo: l'avocat d'un détenu lance un «cri humanitaire»
Pour la première fois, la justice fédérale se penche sur les conditions de confinement des détenus, notamment sur l'alimentation forcée.

Les grillages de Guantanamo. L'audience sur l'alimentation se poursuivra mardi, avec un spécialiste de l'éthique médicale.
«C'est un cri humanitaire». Les avocats d'un gréviste de la faim à Guantanamo ont fait le procès ce lundi 6 octobre de l'alimentation forcée dans cette prison qui, associée à des brimades, n'est rien d'autre selon eux que «douloureuse et humiliante».
C'est la première fois depuis l'arrivée il y a près de 13 ans des premiers détenus dans cette prison controversée, située sur des terres cubaines éloignées de toute frontière américaine, que la justice fédérale se penche sur les conditions de confinement.
«Le seul moyen qu'il a de protester pacifiquement»
Un des 149 détenus, Abou Dhiab, enfermé sans inculpation ni jugement depuis 2002 et que les autorités américaines ont jugé libérable depuis 2009, proteste contre sa détention par des grèves de la faim régulières.
«C'est le seul moyen qu'il a de protester pacifiquement contre sa détention», a déclaré à l'audience un de ses avocats Eric Lewis, «les mois, les années ont passé et il est toujours là. Sa grève de la faim, c'est un cri humanitaire, il n'a pas le choix».
«Tout ce qu'il veut, c'est être traité humainement»
Pourtant, «jour après jour, mois après mois, année après année», le Syrien est extrait de force de sa cellule, attaché avec des sangles à une chaise où il est nourri de force par des sondes nasogastriques qui lui sont insérées et retirées plusieurs fois par jour.
«Tout ce qu'il veut, c'est être traité humainement», a martelé l'avocat, rappelant à la juge Gladyss Kessler qu'elle avait elle-même qualifié la procédure de «douloureuse et humiliante».
«M. Dhiab est prêt à collaborer, il est d'accord pour être nourri par sondes, mais pas de manière contrainte», a renchéri Sondra Crosby, une experte des victimes de torture, professeur en médecine de l'université de Boston. «Il veut être traité avec respect et humanité», a-t-elle ajouté.
«Privé de soins médicaux par mesure disciplinaire»
Après avoir vu des enregistrements vidéo des procédures suivies plusieurs fois par jour à Guantanamo pour les grévistes de la faim, cette spécialiste, appelée par la défense, a expliqué comment le plaignant avait été «extrait de force de sa cellule» quelque 1300 fois, alors qu'il «souffre de toute évidence» de douleurs importantes au dos, à une jambe et a perdu partiellement la sensibilité du visage.
«C'est un cas très compliqué», a-t-elle dit, et pourtant «il semble qu'il soit privé de soins médicaux par mesure disciplinaire».
Des décisions «complètement inappropriées»
«Je ne comprends pas pourquoi un médecin lui retirerait» des béquilles, une chaise roulante, un oreiller thérapeutique ou des chaussettes en coton, «cela apparaît comme une punition, alors qu'il n'est pas capable de bouger sans des béquilles ou une chaise roulante», a-t-elle encore témoigné.
Dr Crosby s'est dit très «préoccupée par ces décisions d'ordre disciplinaires» et «complètement inappropriées» au niveau médical.
Si elle a admis que l'alimentation naso-gastrique était «la méthode normale» dans les hôpitaux, cette experte a précisé qu'à moins d'une «contre-indication», la sonde devait rester en place pour éviter des souffrances supplémentaires.
Une chaise dite «de la torture»
«Il y a un risque d'infection» si on laisse les sondes, a fustigé de son côté le représentant du gouvernement. En outre, cela poserait un «risque pour leur sécurité» car les détenus «pourraient utiliser le tube pour s'asphyxier», a fustigé le procureur Andrew Warden.
Il a estimé que «l'alimentation par voie interne est mise en place de manière humaine et appropriée» à Guantanamo, soulignant que la chaise -- que les détenus qualifient de «chaise de torture» -- n'était pas «utilisée comme un châtiment ou pour infliger une souffrance» mais par «mesure de sécurité».
La méthode est «nécessaire pour empêcher le décès» du détenu, a-t-il expliqué, estimant que «la procédure n'est pas douloureuse» car le personnel de la prison utilise des sondes nasogastriques pédiatriques conseillées pour «des enfants de moins de trois ans».
L'audience se poursuit
Il a en outre soutenu qu'Abou Dhiab «refusait constamment la nourriture» qu'on lui proposait et avait «des antécédents de désobéissance».
Mais il est arrivé que des «gardiens lui confisquent de la nourriture» en pleine grève de la faim, a précisé, «surprise», l'experte médicale.
L'audience se poursuivait lundi avec l'audition d'un ancien psychiatre de l'armée, Stephen Xenakis et mardi, avec un spécialiste de l'éthique médicale, Steven Miles.
La juge Gladyss Kessler a ordonné que la quasi-intégralité des débats soient publics, au grand dam du gouvernement qui avait réclamé le huis-clos.