«Ah, entrez. Bien. Vous voulez faire tout ça comment?» On entre en lui glissant que «tout ça», ce n'est pas rien. C'est tenter en deux petites heures de retracer cinquante années de carrière.

Sur la table de la salle à manger, des objets et des photos étiquetés, numérotés et classés dans l'ordre chronologique nous attendent. Il va falloir plonger la tête la première dans une vie qui en abrite au moins une dizaine. Henri Dès, l'éternel gamin aux mots d'enfant, fête son demi-siècle musical.

De ses premières ébauches folks avec Elvis et Brassens dans le viseur, jusqu'à l'album «Casse-pieds» sorti en septembre, il y a eu des centaines de morceaux (pour les grands et surtout les petits), des Zénith, une émission sur TF1, l'Eurovision en 1970 et un passage par les chaussettes des «Babibouchettes».

Plusieurs vies, qu'on vous dit. En décembre, c'est avec deux Olympia et le double concert «Tous en chœur» à Montreux, entouré de mômes bien en voix, que le roi des gosses montera dans le carrosse. Il nous a ouvert avec sa Mary-Jo au bras. Qu'il accueille la pupille souriante ou qu'il grimpe à Paris dans les années 1960, Henri Dès n'a jamais rien entrepris sans son joker de cœur. Sa femme, son manager, la mère de ses enfants. L'ange derrière le rideau.

Autour de la table, le cliché prend très vite corps: il ne serait rien sans elle. Elle a toujours tout fait. Tout? Oui, bon, sauf le café. «Elle n'a jamais su le préparer, c'est une catastrophe. Vous en voulez un? (Il file à la cuisine.) Tu te rappelles, Mary-Jo, avant de partir pour Paris, je t'avais avertie qu'il était hors de question que je me trimballe dans la capitale avec un boulet. Eh bien, sans toi, je pense que je serais revenu au bout de deux mois.» Les vannes fusent. Des vannes qu'on encaisse qu'en cas d'amour fou.

Au fond, à 72 ans, c'est l'or qu'il célèbre. Les disques, mais aussi les noces. Cinquante ans de mariage avec une guitare en bandoulière. Indissociable. Exemplaire. Agaçant, même, à l'heure où rien ne dure plus de trois ans, du couple au lave-linge en passant par une carrière.

C'est que monsieur Dès n'a jamais rien fait comme tout le monde. «Un parcours comme le mien est unique. Aujourd'hui, personne ne prendrait le temps de construire un château en déposant une petite poignée de sable chaque matin.»

Henri Dès, au lieu de gravir les échelons en picorant de l'amour dans le décolleté des groupies, c'est en se mariant qu'il démarre sa carrière. Sa voix n'a pas changé, ses convictions non plus. Depuis le début, pour lui c'est mathématique, il sait qu'Henri Dès doit ressembler à un triangle équilatéral. «Qui je suis, ce que le public attend et la musique que je fais doivent être à distance égale, sinon ça ne fonctionne pas.»

Les maisons de disques le boudent? Grave erreur, le couple fonde sa propre entreprise pour bâtir un empire. Et pour le meilleur. «Au début, on vivait mal à Paris. Quelques mètres carrés, toilettes sur l'étage. Je revenais du cabaret avec un sandwich que Mary-Jo dévorait le lendemain.» Elle esquisse un sourire taquin.

Même quand il a fallu serrer les dents et la ceinture, elle sait qu'elle n'aurait jamais rêvé d'une vie meilleure. «Il faut y croire très fort. Et je savais qu'il rentrait avec de l'argent.» Henri Dès rejoint sa belle. «De toute façon tu aurais fait quoi, hein? T'étais mieux avec moi qu'au secrétariat de RTL.»

La vanne, encore. L'amour, et la chanson, toujours. «Oh, non, je ne vais pas m'arrêter, vous rigolez?» Avec vous, Henri Dès, ce sont surtout des millions d'âmes d'enfants qui rigoleront encore longtemps.