IncesteHuit enfants en enfer (VD): le père abuseur rejugé cet après-midi
Le Vaudois, violeur et maltraitant, recourt contre sa condamnation à 18 ans ferme. Le rapport Rouiller et le «départ» du directeur du SPJ influenceront-ils l'appréciation des juges de deuxième instance?
- par
- Evelyne Emeri
Dévoilé le 24 septembre, le rapport de l'ancien président du Tribunal fédéral, Claude Rouiller, va-t-il peser lourd dans la balance lors de la tenue de l'audience de cet après-midi? Va-t-il être utilisé par la défense pour minimiser la faute du recourant? Le Tribunal cantonal (TC) vaudois va-t-il être impacté, d'une manière ou d'une autre, par les conclusions extrêmement sévères de l'expert mandaté par le Conseil d'État pour investiguer sur ce désastre humain? Le couperet est, lui, sans appel. Un pavé de 184 pages, glaçant. La Justice de paix – donc le TC – et le Service de protection de la jeunesse (SPJ) – donc l'État – se sont rendus coupables de graves manquements durant quasi vingt ans de curatelle.
Coupables d'avoir laissé les huit enfants de la fratrie, abusés et maltraités de 2004 à 2015, «aux bons soins» de leurs deux bourreaux, faibles d'esprit et aux parcours de vie cabossés: un père incestueux, violeur et cogneur; une mère à la main lourde et complice des sévices perpétrés par son mari. Et qu'en sera-t-il de la décision du Conseil d'État tombée mardi 4 octobre? Le départ «d'un commun accord» du directeur du SPJ – qui n'a œuvré que deux ans et demi durant les faits qui sont reprochés à l'institution – va-t-il empiéter sur la Cour cantonale et/ou renforcer le premier jugement? Pendant ce temps, le Tribunal cantonal n'a pas encore annoncé de sanctions concernant le laxisme de certains de ses juges de paix pointés du doigt par Claude Rouiller. Le TC fustigé d'un côté; le TC, instance de condamnation, de l'autre. Sacré imbroglio. A se demander si cette audience en appel n'aurait pas dû être rejugée hors canton.
Plaider le doute et les contradictions
Ce lundi à 14h, seul le géniteur de cette famille nombreuse sera sur le banc des accusés face aux juges de la Cour d'appel pénale dans l'espoir de décrocher une réduction de peine substantielle. Son épouse, condamnée à 3 ans dont 6 mois ferme, n'a pas recouru. Le Vaudois de 42 ans conteste, lui, le verdict massue de première instance prononcé le 29 mars dernier: 18 ans de prison en tenant compte d'une légère diminution de responsabilité. Le Tribunal criminel de la Broye et du Nord vaudois a retenu un risque de récidive élevé ainsi qu'une addition et une répétition d'actes abjects sur sa progéniture. Le prévenu écopait alors de deux ans de plus que les 16 ans requis par le procureur Christian Maire. Rarissime pour être souligné.
Me Loïc Parein, assisté de Me Jonathan Rutschmann, tentera une périlleuse ligne de défense de ce père déviant, arrêté en juillet 2015 suite à la dénonciation de son aînée. Ils mettront en avant le doute. Le bénéfice du doute qui devrait mieux profiter à l'accusé. En lien, ils essayeront de démonter l'épisode d'octobre 2016 à Moudon, là où dans un hôtel et alors que le prévenu est en liberté conditionnelle, il aurait à nouveau abusé de sa deuxième fille, venue lui rendre visite avec son frère cadet. «Nous allons apporter la démonstration que les accusations sont objectivement contredites par les éléments matériels du dossier», argumente Me Parein. Les éléments matériels, c'est la vidéosurveillance qui établit les allées et venues du frère, parti chercher à manger. Le père et la fille ne seraient restés seuls dans la chambre que quelques minutes et de manière discontinue (2 fois 3 minutes et 1 fois 4).
Le Tribunal cantonal mal pris
La défense plaidera également la lourdeur de la sanction voulue exemplaire par les juges du Nord vaudois en regard de l'inaction – déjà patente au premier procès – du réseau de prise en charge de cette famille sous curatelle depuis 1997. Précisément, cette passivité est désormais scellée dans le marbre par le rapport Rouiller, qui épingle lourdement les intervenants sociaux et les instances judiciaires. Ce document sans concession de l'ex-juge fédéral sera-t-il un avantage pour les avocats de ce «papa», qui a souillé et abîmé à vie tous ses enfants et/ou risque-t-il d'influencer la Cour cantonale? Oui et non, lorsque l'on sait que le Tribunal cantonal (TC) est aussi le grand patron des justices de paix critiquées avec virulence par l'expert Rouiller et qu'il a fait preuve d'une coopération minimale avec l'enquêteur indépendant. S'agissant de ce rapport accablant, Me Parein reste en retrait à ce stade: «Nous réservons la primeur de notre raisonnement à la juridiction d'appel.»
Les deux avocats du prédateur prévoient aussi de s'en prendre à l'une des multiples infractions retenues contre leur mandant. Pas l'inceste, pas le viol, pas la contrainte sexuelle, pas les actes d'ordre sexuel, pas les menaces, pas la mise en danger... Mais la violation du devoir d'assistance ou d'éducation, passible de trois ans de peine privative au plus ou d'une peine pécuniaire. «Nous contestons toute violation intentionnelle du devoir d'éducation: comment soutenir sérieusement que notre client, vu ses capacités, a pu comprendre qu'il ne remplissait pas ses obligations puisque les enfants ne lui étaient pas enlevés par les autorités?» s'interroge Me Parein. Enfin, sur la question de la quotité de la peine: «Nous attendons le prononcé d'une peine par les autorités pénales qui n'apparaisse pas comme la compensation du laxisme prêté aux autorités civiles.»
«Que ces enfants soient protégés de leur père»
Pour l'avocat de la fille aînée qui a fini par dénoncer ses parents en été 2015 et mis fin au calvaire de l'entier de la fratrie, «la contorsion sera compliquée». Me Bernard De Chedid est sceptique: «Le père ne reconnaît pas les faits. Il se dit innocent. Et il va demander une réduction de peine, basée sur le doute.» Pour le TC, c'est Me De Chedid qui sera aux côtés de la jeune plaignante de 22 ans, en lieu et place de son associée, Me Maëlle Le Boudec. «Pour nous, le seul enjeu, ce sont les conclusions civiles et les indemnités auxquelles elle a droit (ndlr. 145 000 francs du père et 16 500 de la mère). Notre rôle n'est pas définir la peine, c'est le rôle du Ministère public et du tribunal. Nous avons un statut de victime en souffrance, qui a hypothéqué sa vie. Ma cliente affronte avec un courage admirable. Actuellement, elle s'occupe de son bébé (ndlr. né juste après le procès de mars). Elle ne désespère pas de suivre une formation d'éducatrice sociale. Elle va bien, elle est tonique et pleine de projets.»
Les défenseurs des sept autres frères et sœur, âgés de 4 à 21 ans, seront bien sûr présents à cette nouvelle audience. Respectivement, Me Lory Balsiger, qui défend la deuxième fille du couple, et Me Xavier Rubli, qui représente les six suivants. «Nous espérons que la Cour d'appel pénale confirmera dans son intégralité le jugement de première instance. C'est humainement le principal. Que ces enfants soient protégés de leur père.» Leurs jeunes clients majeurs (3) ont été dispensés de comparution. Seule la plus violentée, la dénonciatrice et bienfaitrice de ses cadets viendra à nouveau soutenir le regard de leur tortionnaire. Osera-t-il encore traiter ses proies de menteurs et dire à son aînée qu'il l'aime?
Contacté, le procureur Christian Maire, qui soutiendra l'accusation, n'a pas répondu à nos sollicitations.
evelyne.emeri@lematin.ch