PauvretéIl dort dans sa voiture
Un machiniste neuchâtelois raconte sa descente aux enfers et décrit son quotidien après avoir perdu son emploi et son appartement.
- par
- Vincent Donzé
Passer d'un appartement de six pièces à un habitacle de quatre places, c'est la déconfiture sociale vécue par Michel Monnier (45 ans), machiniste neuchâtelois. «J'ai un toit sur la tête: je dors dans ma Citroën», avoue ce bénéficiaire de l'assurance invalidité, dont le revenu est passé de 7500 francs de salaire à 1300 francs de pension pour sa sclérose. La spirale négative s'est enclenchée au retour d'un séjour professionnel à Málaga (Esp), ponctué par un divorce. Les tuiles se sont accumulées, avec, parmi elles, une chute dans une fouille sur un chantier de Romont (FR) qui a stoppé net un emploi temporaire et qui lui vaut de boiter en raison d'un muscle fessier abîmé.
«Je suis devenu un rebut de la société», soupire Michel Monnier, casquette vissée sur la tête. Lorsque son bailleur a obtenu par décision judiciaire le droit de ne pas renouveler le contrat de son six-pièces à Lignières (NE) le 1er octobre dernier, le machiniste s'est retrouvé à la rue, à Neuchâtel. Avec pour seul espace privé l'habitacle de sa voiture. Ses affaires sont placées dans un garde-meubles et ses deux chats sont en pension. «Je suis souvent réveillé par un policier ou un concierge», raconte Michel Monnier, qui prend soin d'éviter les parkings payants. Son lit se compose d'un duvet et d'un coussin flanqués sur la banquette arrière. Ce qui trahit sa présence, c'est la condensation qui se forme sur les vitres.
En colère contre la société
Dès l'aube, Michel Monnier se déplace. Son auberge espagnole, c'est une station-service où il trouve un café et un lavabo pour s'y débarbouiller et se brosser les dents. «Des citoyens suisses désœuvrés, j'en connais. J'ai moi-même dû vendre ma voiture pour joindre les deux bouts», glisse une serveuse compatissante. Pour une douche, Michel Monnier peut passer chez un copain. Son envie, c'est de retrouver un chez-soi, mais avec son statut précaire, c'est mission impossible. «Je ne revendique pas un logement destiné aux personnes à mobilité réduite. Les services sociaux me fournissent la liste des appartements disponibles, mais les loueurs ne veulent pas d'un locataire comme moi», commente Michel Monnier.
«Quand on veut s'en sortir par soi-même, la société s'y oppose. Pourquoi me refuse-t-on un appartement?» s'emporte Michel Monnier, qui travaillait à Málaga comme instructeur chez un constructeur de machines de chantier.
«Moi qui ne pleurais jamais, je vis un cauchemar et j'éprouve un sentiment de dégoût: dans notre pays, on ne devrait pas être dans le besoin, vivre une telle galère», reprend-il, plié dans sa Citroën C1. L'amertume est vive: «J'étais fier d'être Suisse quand j'étais à l'armée, mais j'en ai honte désormais.»
Ce qui lui met du baume au cœur, c'est la solidarité entre démunis: «C'est dans le malheur qu'on découvre ceux qui partagent avec du cœur», confesse-t-il devant un café, dans la station-service qui, dit-il, «maintient le lien social». Le jour de Nouvel-An, le programme sera le même qu'à Noël: «D'après mon planning, je ne fais rien», plaisante ce nouveau pauvre. Sauf surprise, il ira se coucher tôt: «De toute façon, on m'évite comme la peste», murmure-t-il. Son mot de la fin, avec sa barbe de trois jours: «Toucher les bas-fonds, on ne s'attend pas à ce que ça nous arrive.»