HUIT ENFANTS EN ENFERIl nie, elle demande pardon
Au deuxième jour du procès du couple vaudois accusé d'inceste répété et de maltraitance grave, les services sociaux ont été pointés du doigt.
- par
- Evelyne Emeri

La mère de famille comparaît libre. Elle est prévenue de complicité d'inceste, de viol et de contrainte pour avoir couvert les agissements de son mari. Elle est aussi plaignante. Elle affirme que son époux l'a toujours violée depuis leur rencontre à l'âge de 18 ans.
L'instruction à l'envers. Mardi, la Cour criminelle de la Broye et du Nord vaudois a commencé par ce que l'on appelle «le procès des victimes». Les trois enfants majeurs, les filles aînées (22 et 21 ans) et le premier garçon (19) de cette fratrie de huit, ont raconté et justifié plus de dix ans d'inceste, de viols, de contrainte, de sévices, de coups, de menaces, de pornographie, d'actes d'ordre sexuel entre eux, d'humiliations, d'insultes et de dénigrement («Le Matin» de mercredi). Puis il y a eu l'inspecteur chargé de l'enquête, convaincu de la crédibilité des plaignants. Puis le frère de l'accusé venu attester que, eux aussi, ont vécu l'inceste en famille et entre frères et sœurs. Pas un mot du père incestueux, excepté un «Je nie» en ouverture de ce procès d'une violence hors norme.
Ni pédophile ni prédateur sexuel
Hier matin, au deuxième jour du traitement de cette affaire glauque, toujours pas d'interrogatoire des prévenus. La parole ne sera pas encore à l'accusé (41 ans), pas davantage à son épouse (42 ans). C'est la psychiatre qui a rédigé les rapports d'expertise des deux parents, originaires des Ormonts, qui est à la barre. Pour le père détenu, dont elle estime la responsabilité légèrement diminuée, elle préconise un suivi psycho-éducatif et une surveillance stricte si un lien avec ses enfants devait se recréer. «Est-ce un pédophile?» questionne le président, Donovan Tésaury? «Non, c'est une situation d'inceste et non de pédophilie», réplique l'experte. «Le risque de récidive est limité au cadre familial. Il s'est construit une bulle protectrice où tout est permis. Il s'arroge le droit de posséder le corps de sa femme et de ses enfants, tout en sachant qu'il n'a pas le droit de le faire. Les limites fondamentales ne lui ont jamais été signifiées. Ce n'est pas un pédophile ou un prédateur sexuel.»
Et de poursuivre: «Il a de probables séquelles des troubles envahissants du développement, il a pu récupérer et son QI est normal. Mais son immaturité impacte son intelligence affective. Il a reproduit son vécu.»
Et la maman des huit enfants, âgés aujourd'hui de 4 à 22 ans? Sa diminution de responsabilité est moyenne. Dépendante, limitée: il était très difficile pour elle de le dénoncer. «Elle était dans une confusion émotionnelle. Parfois, elle prenait tout sur ses épaules, parfois, elle mettait tout sur les épaules du SPJ (Service de protection de la jeunesse, mandaté depuis 2001) et des autres instances censées l'aider», note encore la thérapeute.
De cette emprise, elle sortira. L'épisode de la récidive sur sa seconde fille en 2016, alors que son mari est en liberté conditionnelle, met fin à ses doutes. «Ça a été le moment décisif. Elle était libérée. Elle pouvait croire ses enfants. Et parler d'elle: de son premier viol. De la fois où elle a cru sa dernière heure arrivée quand il l'a étranglée pour avoir osé lui demander s'il touchait leur aînée. C'est là que tout s'est dégradé et qu'elle est morte à l'intérieur», explique sa psychologue.
La maman a appelé à l'aide
«Elle a essayé d'appeler à l'aide déjà quand son aînée (ndlr: qui a dénoncé les faits en 2015) était petite auprès du SPJ, des éducateurs… On lui a répondu que sa fille était jalouse de ses autres frères et sœurs, qu'elle racontait des histoires pour se rendre intéressante. Elle a demandé plusieurs fois des placements, qui ont été refusés. Elle a évoqué les actes sexuels entre deux de ses garçons. Il y avait plein de lumières rouges que le réseau d'intervention n'a pas vues.»
En fin de journée, enfin, le passage en revue des faits retenus dans l'acte d'accusation débute. «Tout est faux. Je n'ai rien demandé. Rien fait. Je n'ai pas abusé ou couché avec l'une ou l'autre de mes filles. Je n'ai pas d'explications logiques à toutes ces accusations, martèle le Vaudois. Ils ne disent pas la vérité. Le vrai traumatisme de mes enfants, c'est d'avoir été enlevés à leurs parents. Je ne peux pas dire un mensonge pour les protéger!» Les films pornos? «Une fois.» Les coups? «Je tapotais.» L'homme a réponse à tout, et l'aplomb, de surcroît.
Son épouse, elle, peinera mais y arrivera dans la douleur et les larmes: «J'ai beaucoup appris par la police, je n'ai rien constaté de mes yeux. Mon mari ne m'a jamais parlé de tout cela. Je n'ai rien dit de ce que m'avaient raconté les enfants parce que j'avais trop peur qu'il s'en prenne à eux. Je regrette de ne pas avoir agi plus vite. Je suis fière de ma fille aînée. Elle a su se défendre et dire les choses. Oui, je m'excuse.»