HistoireIl y a 50 ans, un scandale politique secouait la Suisse
Durant la Guerre froide, le pays voulait absolument se doter d'avions modernes, négligeant les finances. Pour la première fois de l'histoire, une commission parlementaire a été mise sur pied.

Le Conseiller fédéral vaudois Paul Chaudet a démissionné en 1966, mettant fin au scandale des Mirages.
La démission du chef du Département militaire fédéral (DMF) Paul Chaudet le 28 novembre 1966 a clos l'affaire dite des Mirages. Ce scandale politique survenu il y a 50 ans avait débouché sur la première commission d'enquête parlementaire de l'histoire suisse.
Aspects financiers négligés
«Il s'agit d'une affaire très embarrassante, qui me cause beaucoup de soucis depuis un moment», a avoué le radical vaudois à ses collègues du Conseil fédéral en février 1964. Ce qu'on a fait ici, c'est la transformation d'un avion de chasse en un chasseur-bombardier.
En 1961, le Parlement avait donné son aval à un crédit de 870 millions de francs pour l'acquisition de 100 avions de combat français Mirage III. Au point culminant de la Guerre froide, la Suisse tenait à se doter d'une escadre d'avions modernes.
Mais les coûts ont explosé. En catimini, l'administration avait poussé l'acquisition et gravement négligé les aspects financiers. Les offices responsables ont pris des décisions dépassant de loin leurs compétences, avait critiqué le conseiller fédéral socialiste Willy Spühler lorsque Paul Chaudet a mis le gouvernement au courant.
Le rêve atomique
Finalement, le Conseil fédéral a dû demander un crédit supplémentaire de 576 millions au Parlement. Le coût beaucoup plus élevé s'explique par le «sur mesure» réalisé pour les avions suisses. Dans son message, en 1961, le gouvernement avait pourtant affirmé que seules des «adaptations techniques mineures» étaient nécessaires.
Le Département militaire fédéral (actuel Département fédéral de la défense) de l'époque et son administration auraient dû voir venir les choses. Car cette situation peu réjouissante était la conséquence logique de décisions prises au coup par coup, notait à l'époque un rapport du Département fédéral des finances et des douanes.
L'explosion des coûts était aussi due à la pensée dominante au sein de la direction de l'armée. Les hauts cadres n'envisageaient pas seulement des plans pour se procurer la bombe atomique. Ils lorgnaient aussi vers des avions pouvant être équipés d'armes nucléaires. Pour cela, il fallait les appareils les plus modernes.
Parlement trompé
Lorsque le Parlement s'est saisi de la question lors de sa session d'été 1964, ce fut l'indignation. «Le Conseil fédéral n'a pas rempli son mandat», avait souligné Kurt Furgler, alors qu'il était encore député PDC. La ligne rouge autorisant des erreurs d'évaluations a été clairement dépassée.
Le Parlement s'est senti dupé et refusa d'entrer en matière. Le 17 juin 1964, il créa la première commission d'enquête parlementaire (CEP) de son histoire, sous la présidence de Kurt Furgler. La commission devait éclaircir qui étaient responsables des surcoûts.
Les 20 députés et 12 sénateurs se mirent immédiatement au travail. En un temps record, ils passèrent en revue des milliers de documents de l'administration et interrogèrent 51 personnes. Le 2 septembre, la commission présenta son rapport.
«Tendancieux»
Le résultat était accablant. Le Conseil fédéral avait donné l'impression que toutes les questions importantes étaient réglées, selon le rapport. Or dans son message soumis au Parlement, le DMF a présenté des garanties au chapitre des coûts qui n'étaient pas fondées, selon les documents de l'époque.
Pour certains postes, la commission parle même de tromperie. «Cela concerne surtout la présentation des performances techniques de l'avion et la question des coûts», écrit la CEP. Pour ce qui touche aux qualités de l'appareil, le message a été rédigé de manière tendancieuse en toute connaissance de cause. Paul Chaudet voulait dissiper tous les doutes.
Sur la base de ce rapport de la CEP, la Parlement donna un coup de frein au programme d'acquisition: il approuva un crédit additionnel de 150 millions de francs au lieu des 356 millions demandés et réduisit la voilure à 57 avions au lieu des 100 prévus.
«La ténacité du vigneron»
Certains hauts fonctionnaires du DMF ne furent pas épargnés. Les responsables de ce fiasco ont été durement sanctionnés: le divisionnaire Etienne Primault, commandant de l'Armée de l'air, fut suspendu et le chef de l'Etat-major, Jakob Annasohn, démissionna.
Paul Chaudet, pressé par son parti de se retirer, attendit deux ans avant de tirer sa révérence. Ce qui fit dire à la «NZZ» que le Vaudois résista à la tempête des Mirages durant l'été 64 avec «la ténacité du vigneron».