ConsoIls inventent les chips pour femmes
La multinationale PepsiCo lancera bientôt une gamme de snacks spécialement élaborés pour la gent féminine. Brillante idée ou stratégie genrée complètement dépassée?
- par
- Alexandra Brutsch
Entre les «pétales» à base de légumes, de lentilles ou de quinoa, les versions bleues ou violettes, celles cuites au four ou à la marmite, les ondulées ou les triangulaires, il était déjà difficile de faire son choix au rayon chips. Une nouvelle option pourrait bientôt aggraver notre indécision: l'entreprise PepsiCo a annoncé plancher sur une gamme «pour elles». Non, rien à voir avec les chips allégées, aujourd'hui tout ce qu'il y a de plus banal. L'entreprise américaine évoque une véritable innovation.
Moins de bruit et d'odeur
La version pour femmes croustillera moins, aura une odeur moins persistante sur les doigts et un format adapté au sac à main, expliquait mercredi dernier la directrice générale du groupe dans une interview à Freakonomics. «Quand les jeunes hommes mangent des chips, ils se lèchent les doigts avec délectation, et lorsqu'ils atteignent la fin du paquet, ils se versent les petits morceaux de chips cassés au fond directement dans la bouche parce qu'ils ne veulent pas perdre une miette de ce bon goût.» Les femmes, au contraire, n'aiment pas mâcher trop fort en public ni lécher leurs doigts, souligne Indra Nooyi. Et, surtout, «elles adorent transporter un snack dans leur sac à main».
La composition du produit et son emballage restent encore un mystère. Mais que penser du lancement d'un nouvel article genré, à l'heure où les dénonciations pour sexisme et la lutte pour l'égalité sont en pleine effervescence? À la tête de l'agence de communication Enigma, Olivier Kennedy se dit peu surpris. «On peut trouver cela regrettable, mais c'est la réalité: en marketing, les clichés sont encore extrêmement efficaces. Quand on fait des tests, on voit que les femmes, respectivement les hommes, réagissent aux stéréotypes les plus basiques.»
L'expert en marketing dit ne pas pouvoir prédire le succès de ce futur produit, mais souligne qu'une entreprise de cette ampleur ne lancerait pas un produit au hasard sans conduire une étude de marché. Et cette dernière a dû démontrer l'existence d'un public. «La réception de ces chips dépendra de plusieurs facteurs, notamment de la manière dont la marque mettra l'aspect «genre» en avant. Si c'est sous la forme «Voici ce que les consommatrices nous ont demandé», cela peut être efficace. Mais si le ton est paternaliste, cela ne prendra pas.»
La libération par les chips
Pour l'anthropologue Fanny Parise, PepsiCo fait preuve de maladresse. «Cela peut paraître paradoxal, mais je pense qu'ils ont l'intention de surfer sur la vague de l'émancipation féminine, aujourd'hui particulièrement valorisée avec le phénomène #BalanceTonPorc, par exemple. L'idée est probablement de véhiculer l'image d'une femme libérée, qui peut enfin manger des chips facilement et partout, sans se préoccuper de faire du bruit, d'avoir les doigts sales ou de faire rentrer l'emballage dans son sac à main.»
Mais en construisant sa narration autour d'une vision de la femme proprette et discrète, la société renforce en fait les plus grossiers des stéréotypes de genre, ce qui n'est pas très judicieux du point de vue de l'image de l'entreprise. «Il aurait peut-être été plus stratégique d'axer sur la thématique du nomadisme par exemple, pointe la chercheuse associée à l'Université de Lausanne. Malgré l'éventuelle maladresse de PepsiCo, le produit pourrait être un succès. Certes, le discours évolue, mais, en pratique, notre société reste très sexuée et nos comportements de consommation fonctionnent encore largement sur une distinction par genre.» Sans oublier que le tollé provoqué par cette innovation fait parler, ce qui est toujours une bonne chose pour une marque.