Passé à Tabac: «Ils m'ont pris pour un dealer»

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Passé à Tabac«Ils m'ont pris pour un dealer»

Un Cap-Verdien a fait les frais d'une opération antistup' à Lausanne. La police l'a confondu avec un trafiquant et molesté. Elle prétend avoir usé de la force à cause de son agressivité.

Evelyne Emeri
par
Evelyne Emeri
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«Je leur ai demandé pourquoi ils me faisaient ça. Ils m'ont dit: «C'est comme ça», Claudio, victime d'une intervention musclée de la police lausannoise

«Je leur ai demandé pourquoi ils me faisaient ça. Ils m'ont dit: «C'est comme ça», Claudio, victime d'une intervention musclée de la police lausannoise

Yvain Genevay
Claudio a subi de graves lésions aux deux jambes.

Claudio a subi de graves lésions aux deux jambes.

DR
Le trentenaire a été interpellé et plaqué contre la devanture du restaurant «Chez Xu», à la rue du Tunnel.

Le trentenaire a été interpellé et plaqué contre la devanture du restaurant «Chez Xu», à la rue du Tunnel.

Yvain Genevay

Groggy par les coups. Groggy par l'amalgame entre sa couleur de peau et les dealers du quartier du Tunnel, à Lausanne. Groggy par les doses massives d'antibiotiques pour éviter l'infection de ses plaies ouvertes et par les antidouleurs. Claudio est en arrêt de travail et se déplace en béquilles. Il a eu droit à une belle série de points de suture. Son tibia gauche est troué jusquà l'os. Il a également été vu par l'Unité de médecine des violences au CHUV qui finalise son dossier médico-légal. L'électricien de 31 ans n'a toujours pas compris ce qu'il lui est arrivé vendredi soir dernier. Il est environ 21 h 20. Le trentenaire d'origine cap-verdienne sort du fitness et décide de faire un jogging sur le chemin du retour. Son amie l'attend chez lui. C'est son anniversaire. Capuchon vissé sur la tête, écouteurs dans les oreilles et musique pour rythmer le pas, il court.

Coups de pied et de matraques

«Je remontais de la Riponne vers la place du Tunnel. J'étais à la hauteur du restaurant chinois Chez Xu. Quelqu'un m'a pris par la gorge et plaqué contre la façade. Je me suis senti agressé, je me suis débattu. Puis j'ai reçu un coup dans les parties», raconte le jeune homme. «Je finis à terre, ils sont cinq et je reçois un déferlement de coups de pied et de matraque télescopique dans les jambes. J'arrête de me débattre, je sens un genou sur ma gorge, je ne peux plus respirer. Ils me maîtrisent, me gazent, me menottent. Et je comprends que c'est la police.» Une fourgonnette arrive pour l'emmener à l'Hôtel de police de St-Martin, à 400 m de là. «J'étais sonné, j'avais mal partout (ndlr: côtes, cuisses, épaules), mes jambes saignaient. Je leur ai demandé pourquoi ils me faisaient ça. Ils m'ont dit: «C'est comme ça.»

Claudio n'en a pas fini: «Ils rigolaient, je ne voyais rien avec le spray. J'ai tapé contre les marches du véhicule avec mes tibias en sang, au poste contre les escaliers.» L'homme blessé pourra ensuite se rincer les yeux avant qu'on ne lui demande ses papiers – qu'il n'a pas sur lui – et qu'on ne relève ses empreintes. «Ils m'avaient fouillé et n'arrêtaient pas de me demander si j'avais quelque chose dans les poches comme pour se persuader que j'étais bien un dealer. Ils ont essayé de renverser la situation, de me faire culpabiliser et de me faire admettre que j'avais commis une agression contre les forces de l'ordre. J'ai demandé à voir un médecin ou appeler un proche (ndlr: sa copine), ils ont refusé. Ensuite, ils m'ont proposé de m'amener au CHUV. Moi, je n'avais qu'une envie: partir, ne plus être en contact avec eux. C'était un cauchemar. Avant de quitter l'Hôtel de police, j'ai voulu savoir comment porter plainte. Un des policiers m'a griffonné ses coordonnées sur un bout de papier en me précisant: «La nuit porte conseil», histoire de me dissuader. A aucun moment, l'un ou l'autre agent ne s'est excusé.»

Quand sa copine le retrouve et voit la gravité de ses blessures, direction le CHUV. Sur le chemin, le couple s'arrêtera au poste pour tenter d'obtenir des explications. «Ils nous ont dit que j'étais passé au mauvais endroit au mauvais moment.» Et si l'électricien avait été de type caucasien? «Un des agents a clairement répondu à mon amie: «Ma foi, vous savez, la plupart des dealers sont noirs.» Plus de doute sur l'amalgame. «Nous avons aussi fait part de notre volonté de porter plainte, ils nous ont donné l'adresse du Ministère public à Lausanne (ndlr: alors qu'il aurait pu porter plainte sur-le-champ). Ils nous ont surtout proposé une médiation. Que nous avons évidemment refusée.»

Version policière opposée

Du côté des forces de l'ordre, on admet qu'il y avait effectivement un dispositif ce même soir à la rue du Tunnel dans le cadre de la lutte antistupéfiants. Et la version de varier diamétralement. Sébastien Jost, porte-parole de la police municipale de Lausanne: «Des policiers ont signalé qu'une dizaine de personnes fuyaient du côté de la Riponne. A ce moment-là, deux agents en uniforme se sont retrouvés face à cet homme qui courait dans leur direction et lui ont demandé de s'arrêter pour l'identifier. Il n'a pas obtempéré. Un policier a tenté de le retenir, l'individu l'a repoussé et s'est débattu. Des renforts sont arrivés et il a fallu utiliser la force. En tout, cinq policiers ont été nécessaires pour maîtriser l'intéressé qui s'est montré oppositionnel et agressif. Le contexte était particulier: ce monsieur correspondait en partie aux critères des personnes recherchées, notamment sa couleur de peau. L'un des nôtres a été blessé à une main, il est en arrêt de travail. Une procédure a été ouverte à l'encontre de cet homme pour violences contre fonctionnaires.»

«Pourquoi aurais-je refusé un contrôle d'identité? Je n'ai rien à me reprocher. Je n'ai jamais eu un seul souci avec la police. Je me suis déjà fait contrôler plusieurs fois», conclut, dépité, Claudio qui déposera plainte cette semaine encore.

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