Haïti: Inégalités accrues face à la menace d'ouragan

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HaïtiInégalités accrues face à la menace d'ouragan

Entre ceux qui ont les moyens de faire leurs provisions et ceux qui craignent de manquer de tout, les inégalités sont exacerbées.

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Au sud d'Haïti, de nombreuses familles ne parviennent toujours pas à subvenir à leurs besoins après le passage de l'ouragan dévastateur. (Lundi 3 mai 2017)

Au sud d'Haïti, de nombreuses familles ne parviennent toujours pas à subvenir à leurs besoins après le passage de l'ouragan dévastateur. (Lundi 3 mai 2017)

Keystone
Haïti subit toujours les conséquences de l'ouragan Matthew qui a dévasté une partie du pays en octobre 2016. (Mercredi 18 janvier - Image d'archives)

Haïti subit toujours les conséquences de l'ouragan Matthew qui a dévasté une partie du pays en octobre 2016. (Mercredi 18 janvier - Image d'archives)

Le passage de l'ouragan dévastateur Matthew sur le sud d'Haïti le 4 octobre a causé près de 2 milliards de dollars de dégâts. (Vendredi 28 octobre 2016)

Le passage de l'ouragan dévastateur Matthew sur le sud d'Haïti le 4 octobre a causé près de 2 milliards de dollars de dégâts. (Vendredi 28 octobre 2016)

Achat de provisions pour plusieurs dizaines de dollars ou résignation devant l'impossibilité de se protéger: les inégalités entre la minorité riche d'Haïti et la très large majorité de pauvres sont exacerbées face à la menace du puissant ouragan Matthew. Ce dernier devrait toucher le pays lundi 3 octobre.

«On est très inquiets. On veut surtout avoir du désinfectant, des bougies, des allumettes, des conserves et surtout de l'eau», raconte Patricia à la caisse du supermarché. Son sac à main en cuir posé dans le chariot rempli de denrées alimentaires et de produits de première nécessité, la femme d'une quarantaine d'années règle par carte bancaire sa facture de plus de 50 dollars.

A Pétionville, la commune aisée de l'aire métropolitaine de Port-au-Prince, les magasins restent exceptionnellement ouverts toute la journée de dimanche pour permettre aux clients de s'approvisionner, 24 heures avant l'arrivée de l'ouragan Matthew. Il devrait frapper Haïti et la Jamaïque lundi à la mi-journée avec des vents très forts et d'importantes précipitations.

Le centre américain de surveillance des ouragans (NHC) prévoit entre 38 et 63 centimètres de précipitations sur le sud de Haïti et jusqu'à 1 mètre dans certains endroits.

Réserves

La peur de manquer a eu raison des stocks des supermarchés: à la mi-journée, les rayons de pain, d'eau et de pâtes étaient presque vides. «On parle de trois jours de menace et je vois certains qui achètent comme s'ils n'allaient avoir accès à rien du tout pendant deux à trois semaines. C'est ridicule!», explique Roxane Ledan en montrant son chariot ne contenant qu'une poignée de produits.

Mais même faire ses maigres réserves de nourriture est impossible pour la grande majorité des familles haïtiennes. Avec moins de 2,42 dollars par jour, plus de 6 des 10,4 millions d'Haïtiens vivent sous le seuil de pauvreté, selon la dernière étude de la Banque mondiale.

Information

Les criantes inégalités économiques en Haïti affectent même l'accès à l'information. Si les possesseurs de smartphones s'échangent depuis plusieurs jours les alertes météo et les consignes d'urgence, certains habitants ignorent encore la menace qui pèse sur eux.

«C'est quelqu'un ici sur le port qui vient de me dire qu'un cyclone allait arriver. Je n'avais rien entendu à ce sujet avant», témoigne Fritznel à la mi-journée dimanche. A quelques kilomètres des supermarchés pris d'assaut, le marin attend désemparé sur son voilier immobilisé dans le port Jérémie, sur la baie de Port-au-Prince.

«J'habite à Pestel (un village en bord de mer, à 280 km à l'ouest de la capitale) [...] j'ai appelé ma famille pour leur dire d'aller se réfugier dans l'église qui est à côté de ma maison car elle n'est pas très solide», confie l'homme. Avec seulement quelques pièces de monnaie en poche, il ne sait pas encore où il va pouvoir s'abriter alors que le vent commence à souffler.

Les autorités haïtiennes assurent que les campagnes de sensibilisation des populations à risque sont activement menées. Sur les réseaux sociaux, plusieurs internautes témoignent n'avoir toujours reçu aucun des sms annoncés.

Cruel écart

Ce cruel écart de protection entre citoyens d'un même pays est dénoncé par nombre de personnes de la classe aisée. «Je ne panique pas pour moi, mes vitres cassées ou ma maison potentiellement envahie d'eau... Je panique littéralement pour les gens sans moyens qui vivent sur les côtes», s'énerve Roxane Ledan.

«Eux ne dépendent pas des supermarchés pour se nourrir. Ils ont leurs petites parcelles qu'ils cultivent et leurs bêtes. Mais tout ça va être ravagé si on ne les prévient pas» se désole-t-elle.

Haïti a élevé son niveau d'alerte d'orange à rouge, le maximum. Une centaine d'évacuations préventives ont eu lieu dans le sud, la zone la plus exposée. La journée de classe de lundi a été annulée par les autorités afin que les établissements scolaires puissent servir de refuges pour les personnes en détresse.

Abris insuffisants

Sur l'ensemble du territoire, 1300 abris provisoires ont déjà été recensés, permettant seulement l'accueil de 340'000 personnes.

Reconnaissant ce cruel manque de moyens, les autorités haïtiennes en appellent à la responsabilité citoyenne, demandant à ceux dont le domicile est sécurisé d'accueillir leurs voisins en difficulté. «Il faut nous montrer solidaires pour qu'une fois le cyclone passé, nous n'ayons pas à pleurer» a déclaré le président intérimaire d'Haïti Jocelerme Privert dans son allocution en créole en direct sur la télévision nationale.

Cette impréparation est la première source d'inquiétude de la communauté humanitaire et plusieurs responsables d'organisations internationales ne peuvent que faire le constat de cette faiblesse étatique. «Le pays a toujours connu des cyclones et pourtant, encore aujourd'hui, ils ne sont pas prêts», regrette un diplomate étranger, lui-même occupé à faire ses derniers achats au supermarché.

(ats)

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