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Témoignage«J'ai déliré pendant deux jours»

Un Vaudois de 69 ans a été retrouvé une cinquantaine d'heures après s'être brisé une omoplate lors d'une randonnée. Le retraité a eu des hallucinations jusqu'à l'arrivée des secours.

Benjamin Pillard
par
Benjamin Pillard
François Bruand, 69 ans, est encore hospitalisé à La Chaux-de-Fonds. Randonneur averti, il n'imaginait pas pouvoir connaître de tels troubles de la perception.

François Bruand, 69 ans, est encore hospitalisé à La Chaux-de-Fonds. Randonneur averti, il n'imaginait pas pouvoir connaître de tels troubles de la perception.

Jean-Guy Python

«Je ne savais pas qu'on pouvait délirer d'une telle façon.» François Bruand, 69 ans, en est encore tout retourné. Il y a cinq jours, cet ancien directeur de gymnase vaudois a été hospitalisé d'urgence à La Chaux-de-Fonds (NE), après avoir attendu les secours plus de deux jours contre une paroi rocheuse des gorges du Doubs, côté français. Seul, à quelque 800 m d'altitude, en contrebas d'un sentier de randonnée forestier, sous un ciel couvert et des nuits venteuses à 6 degrés. Avec pour seule subsistance un demi-litre d'eau et cinq barres de céréales. Deux jours et demi durant lesquels ce retraité en pleine forme a été victime d'invraisemblables troubles de la perception. Qui lui ont finalement sauvé la vie.

François Bruand avait prévu de parcourir en quatre jours les quelque 80 km qui séparent la commune des Brenets (NE) de celle de Saint-Ursanne (JU), le long du Doubs. Pas de quoi effrayer ce Vaudois bien connu à Yverdon-les-Bains, qui a déjà effectué une vingtaine de marches dans l'arc jurassien depuis ses 60 ans, sans le moindre accroc. Cet itinéraire, il l'avait fait dans l'autre sens il y a deux mois. En randonneur averti, ce mathématicien avait planifié à l'avance ses quatre haltes; la première étant un gîte au bord du Doubs, à 20 km des Brenets, sur la commune de Fournet-Blancheroche (F).

Il s'est trompé de chemin

L'homme sera contraint d'interrompre sa progression à mi-parcours, après s'être trompé de bifurcation pour s'aventurer sur un sentier escarpé en lacets, en direction de la grotte du Grenier. Quelque 200 m de dénivelé plus haut, le retraité trébuche et chute lourdement. C'était lundi dernier, en début d'après-midi. «J'ai littéralement rebedoulé (tomber en roulant, en patois vaudois, ndlr)», raconte François Bruand sur son lit d'hôpital. «La douleur n'était pas très grande, mais je n'arrivais pas à me relever.» Et pour cause: l'omoplate gauche fracturée, le retraité ne peut plus faire usage que d'un seul bras.

Coupé du monde

Il se laissera glisser tant bien que mal en direction du sentier en contrebas, persuadé qu'un promeneur finira par le trouver. Car le Vaudois est désormais coupé du monde: son téléphone est tombé de sa poche au moment de la chute. L'homme reste calme et se met à l'abri contre la roche calcaire, une averse venant de se déclarer. «Je pensais que quelqu'un allait passer ou que mon natel allait sonner.» Comble de malchance: la police, mise au courant en soirée par son épouse restée à Yverdon, ne parvient pas à localiser l'appareil; faute de réseau suffisant ou suite aux dégâts subis par le téléphone. Le randonneur dit avoir vu des lampes de poche aux alentours de 22 h, puis tout a disparu vers minuit. Moins serein et frigorifié, François Bruand appelle alors à l'aide. En vain. C'est le début des hallucinations.

«Pendant deux nuits et deux jours, j'ai imaginé des choses qui n'existaient pas. En me réveillant le lendemain, j'étais par exemple persuadé que je me trouvais à côté d'un parc de loisir. Je me souviens d'avoir apostrophé une dame, à qui j'ai demandé d'appeler la police et une ambulance. La nuit suivante, j'ai cru avoir dormi à la maison.» Pendant ce temps, une vingtaine de policiers neuchâtelois et français quadrillent le vaste secteur à pied, à vélo, en bateau sur le lac de Moron, en hélicoptère… Sans succès, malgré le flair du chien à particules, la précision des caméras thermiques, et la diffusion massive de l'avis de disparition demandée par la famille le mercredi après-midi.

C'est finalement un promeneur de la région qui donnera l'alerte, intrigué par la vue d'une masse inerte à une dizaine de mètres du sentier, mercredi vers 18 h. «Je lui ai répondu que je n'avais pas besoin d'aide, que je me trouvais aux côtés de ma femme, se souvient le Vaudois. Il ne m'a pas cru, c'est le principal.» A ces paroles dénuées de sens, le promeneur alerte les secours. Le blessé sera hélitreuillé sur 3 km par les pompiers locaux jusqu'au hameau voisin, avant d'être héliporté par la Rega.

Plus de marche en solo

A quatre mois de ses 70 ans, François Bruand prend sa mésaventure comme un signal fort: «C'est la dernière fois que je marche seul.»

Un autre randonneur à la retraite est toujours porté disparu depuis mercredi, rappelle la police cantonale vaudoise. Agé de 79 ans, il était parti seul pour faire le tour du massif d'Argentine depuis Les Plans-sur-Bex (VD) et devait rentrer chez lui le soir même.

« Les hallucinations peuvent être dues à la déshydratation»

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