Témoignage: «J'ai eu rendez-vous avec la mort»

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Témoignage«J'ai eu rendez-vous avec la mort»

Susana Marques Ferreira a été victime d'un grave accident de chantier à Lausanne. Cette agente de sécurité se confie à la veille du procès de celui qui lui a roulé sur les jambes avec un camion.

Benjamin Pillard
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Benjamin Pillard
La quadragénaire venait d'autoriser le véhicule à sortir du chantier lorsque le 32 tonnes a subitement entrepris une manœuvre en marche arrière…

La quadragénaire venait d'autoriser le véhicule à sortir du chantier lorsque le 32 tonnes a subitement entrepris une manœuvre en marche arrière…

Sebastien Anex

«Je suis tombée à plat ventre, et les roues ont commencé à monter littéralement sur mes jambes… Je me suis dit: «Faut que ça s'arrête, faut que ça s'arrête…» Sept ans après son emménagement en Suisse, Susana Marques Ferreira avait quitté l'hôtellerie pour devenir agente de sécurité. C'était en 2014. Deux ans plus tard, sur son lieu de travail, la Lausannoise a vécu un véritable cauchemar éveillé, qui lui laissera des séquelles à vie.

Manœuvre sans avertissement

«Ça faisait neuf mois que je surveillais quotidiennement les accès de ce chantier avec deux collègues», témoigne la Portugaise, aujourd'hui âgée de 44 ans. «Ce jour-là, entre 8 h et 8 h 30, j'ai eu rendez-vous avec la mort…» Susana était déjà sur le pont depuis 6 h, soit une heure avant l'aube, en ce jeudi de février. La journée s'annonce ensoleillée. «J'avais déjà vu plusieurs fois le conducteur de ce camion-benne rouge. Lorsque je l'ai autorisé à quitter le site, je me suis immédiatement retournée, car je devais contrôler le macaron des voitures d'ouvriers qui arrivaient. Pour moi, le camion n'existait plus, il n'était pas censé effectuer une telle manœuvre, en tout cas pas sans m'avertir…»

Et pourtant, Joao*, également originaire du Portugal, et du même âge que Susana, entreprend une marche arrière à proximité immédiate de l'agente qu'il venait de croiser. Sans se faire aider par un tiers. Son 32 tonnes n'était pas équipé du bip-bip qui s'enclenche lors d'une marche arrière. «Il aurait de toute façon fallu qu'il me produise une consigne écrite, lance la Lausannoise. À mon avis, il a voulu se dépêcher de décharger du matériel afin de tenir son horaire, tout en sachant certainement très bien que j'allais refuser s'il me le demandait. Il aurait dû attendre que les dernières voitures soient entrées dans le chantier.»

La quadragénaire a d'abord été heurtée à la tête, par-derrière. «Sur le moment, j'ai pensé à une grue», témoigne celle qui n'a heureusement pas vu les roues avancer sur ses jambes. «Au sol, je me souviens d'avoir vu un ouvrier en train de hurler. Mais ce qui passait derrière moi ne s'arrêtait pas. J'ai d'abord pensé que c'était cet homme qui m'avait sauvé la vie, mais le chauffeur a dit après coup qu'il n'avait entendu aucun cri.» À son mari, rencontré à l'hôpital, Joao expliquera avoir stoppé sa manœuvre uniquement en raison d'un «sac plastique orange» aperçu dans son rétroviseur, au niveau de ses roues arrière. «C'était ma veste de chantier…, lâche Susana. Autant dire que j'ai eu une chance énorme, malgré tout.»

Aucun avenir professionnel

Veine toute relative: depuis l'accident, malgré neuf opérations, de la lymphe s'accumule dans sa cuisse droite. «Ça fait vraiment très mal. Il y a un vrai risque de nécrose. Je risque de devoir retourner au bloc chaque semaine pendant six mois pour aspirer tout ce liquide», confie Susana, qui n'a plus d'avenir professionnel. Pas même à un bureau: «Ma jambe se met à gonfler si je reste plus d'une heure assise…» Joao comparaîtra lundi devant le Tribunal d'arrondissement de Lausanne.

*Prénom d'emprunt

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