Départ«Je crois que toute bonne chose a une fin: j'arrête la politique»
C'est la fin d'une ère à Genève: Eric Stauffer annonce son retrait progressif de la vie politique. Le fondateur du MCG en profite pour régler quelques comptes en interne.
- par
- Raphaël Leroy - Le Matin Dimanche

Agé de 51?ans, Eric Stauffer a animé la vie politique genevoise pendant onze ans.
Eric Stauffer, vous quittez la politique. Pourquoi?
J'estime avoir fait mon temps. Cela fait onze ans que j'ai donné une énergie absolument démentielle à la chose publique. J'ai eu cette chance d'écrire l'histoire politique de mon canton, voire de la Suisse. Ce qui a été réalisé avec le MCG n'a pas de précédent dans l'histoire de notre pays. Le MCG, je l'ai fondé le 6 juin 2005 avec feu Georges Letellier. Le 11 octobre 2009, nous devenions la seconde force politique du canton. Quatre ans plus tard, le MCG plaçait son premier conseiller d'Etat (Mauro Poggia, ndlr) après avoir eu deux magistrats dans les plus grandes communes du canton et un conseiller national.
Vous avez toujours dit que vous travailliez pour les Genevois. Vous les lâchez aujourd'hui?
Non, ce n'est pas ça, mais les journées ne font que 24 h! Je travaille à peu près 14 h par jour. J'avais jusqu'à fin février 28 h de commission parlementaire par semaine. Cela n'est pas compatible avec une activité professionnelle responsable. A un moment donné, je dois faire des choix. Aujourd'hui, il faut que je pense un peu plus à mes affaires et à ma famille (il vient d'être grand-père, ndlr) qu'à la politique. J'ai donc décidé unilatéralement de sortir de cinq commissions, ce qui n'est pas rien. Je ne conserve que la commission des finances dont j'ai la présidence jusqu'en septembre. Ensuite, je la quitterai. Mon départ définitif interviendra au maximum dans 18 mois.
Genève ne va pas mieux aujourd'hui qu'hier. Le job n'est pas fini!
Je pense qu'aujourd'hui le MCG doit se trouver les leaders de demain. Parce que les anciens qui ont fait le parti, à savoir Roger Golay, Thierry Cerutti, Pascal Spuhler et Carlos Medeiros, ne vont pas faire encore douze mandats électifs. Moi je l'ai annoncé: ce sera mon dernier mandat de député.
Vous êtes lassé de la politique?
Non, mais j'estime avoir bouclé la boucle. Aujourd'hui, le MCG est en phase de consolidation après une croissance hors norme. Mais il va devoir faire très attention dans les mois qui viennent aux «y a qu'à/faut qu'on». Parce qu'avec vingt députés, chacun s'improvise stratège de la politique, ingénieur de la circulation, syndicaliste et entrepreneur de PME. A un moment, quand vous passez plus de temps à expliquer la stratégie politique à l'interne qu'à l'externe, il est peut-être temps que le MCG vole de ses propres ailes.
Vous en avez marre de vos troupes en fait, c'est ça?
C'est une critique directe, oui. Certains «y a qu'à/faut qu'on» profitent des acquis des fondateurs du MCG sans en avoir l'envergure, le charisme et la compétence. Au sein du parti, je n'ai vu personne avoir la pugnacité d'affronter l'intégralité de l'establishment, ne pas céder à la peur et aux menaces et avoir gain de cause sur toute la ligne. Comme ce fut mon cas aux SIG, dans l'affaire des déchets napolitains ou lorsque j'avais traité Kadhafi de criminel en 2010. Le parti doit se méfier car je n'entends pas devenir le Grobet du MCG. Depuis début mars, je ne veux plus participer aux décisions du parti, discuter et influencer le groupe. Ils sont livrés à eux-mêmes.
Vous êtes déçu de ce qu'est devenu le MCG?
Non. Je suis au contraire très fier de notre progression. Le MCG devra toutefois s'affirmer avec de nouvelles figures qui ne doivent être ni des profiteurs, ni des individualistes, mais des gens capables de se mettre en danger comme je l'ai fait par le passé pour le collectif.
Ne portez-vous pas une responsabilité sur cette gabegie interne: le verre d'eau, l'escorte policière au Grand Conseil… Votre crédibilité en a pâti!
Toutes les actions que j'ai faites, si c'était à refaire, je les referais.
Vous n'avez donc aucun regret?
Aucun. Et je ne crois pas qu'il y ait eu des critiques en interne par rapport à cela.
Vous allez vous ennuyer sans politique et exposition médiatique, non?
Ça, c'est une vue de l'esprit! Je n'ai pas ce besoin d'exister au travers des médias. Pour moi, cela a été un effet secondaire, certes désirable quand on est un leader de parti, mais mes actions n'ont pas été faites pour cela. Ce que je n'avais pas calculé au départ, c'est qu'en faisant de la politique, on devenait un homme public. J'ai fait de la politique par passion, pas par opportunisme.
La passion, ça reste à vie. Vous allez donc revenir et faire comme ces chanteurs qui font trois tournées d'adieu?
On peut changer de passion. Aujourd'hui, mon activité professionnelle me passionne. Nous investissons beaucoup d'argent et prenons des risques. Nous sommes par exemple en train de concevoir une application de télécommunication qui devrait avoir un impact international! Et puis n'oublions pas que la politique m'a aussi amené des complications. On a saccagé mon commerce de vapote dix fois en quatorze mois. Trois déséquilibrés qui menaçaient ma famille et moi-même ont été arrêtés ces dernières années. Sans parler de la protection policière.
Cela vous a fatigué?
Mon ADN me permet d'affronter n'importe quoi et n'importe qui. Mais c'est sûr que quand on s'en prend à ma famille, à mes enfants, j'ai tendance à ne plus être du tout objectif. Là, on peut rentrer dans une zone de danger. Fort heureusement, j'ai pu compter sur les forces de police.
Vous ne reviendrez donc jamais à la politique?
Non, cela a été une période de ma vie. J'ai été député, conseiller municipal et maire d'une des plus grandes communes du canton. Je crois avoir fait mon temps et que toute bonne chose à une fin: j'arrête la politique. J'ai démontré ce que l'on pouvait faire avec de la volonté et de la persévérance.