Cyclisme«Je rêvais de gagner le Tour ou de devenir une rock star»
Président de l'Union Cycliste Internationale depuis 2013, l'Anglais Brian Cookson jongle entre la volonté de nettoyer son sport et le besoin urgent de le développer.
- par
- Stéphane Combe

Le boss du cyclisme mondial se sent à l'aise dans un costume qu'il songe porter au-delà de 2017.
- Brian Cookson, à 64 ans, enfourchez-vous encore votre bicyclette pour aller travailler?
«J'aimerais beaucoup. Mais pour être honnête, je me déplace en voiture depuis Montreux. Mon vélo m'attend dans les locaux de l'UCI. J'aime bien rouler ici au vélodrome ou au bord du Rhône. Surtout le dimanche, car le samedi, ma femme me force à faire du shopping.» (rires)
- Jeune, vous avez couru en compétition, dans plusieurs disciplines. Vous auriez aimé passer professionnel?
«Totalement. Enfant, je rêvais de devenir une rock star ou de gagner le Tour de France. Je n'ai hélas pas eu le talent pour y parvenir.»
- En devenant le patron du cyclisme mondial, avez-vous en quelque sorte satisfait cette pulsion?
«Je n'ai jamais ressenti le besoin d'occuper ce poste. Avant, j'avais aussi une vie géniale. J'étais le président de la fédération britannique, l'une des plus couronnées de succès au monde. Je me suis lancé car il fallait restaurer l'intégrité et la réputation de notre sport après quinze années catastrophiques.»
- Vous dites que vous n'avez jamais recherché la gloire personnelle. Peut-on vraiment atteindre cette fonction sans un minimum d'égoïsme?
«Égoïsme, je ne crois pas. Plutôt de l'ambition. L'envie d'améliorer les choses, de faire la différence. Avec British Cycling, j'ai travaillé dur pour y parvenir. Puis en 2009, j'ai été élu au comité directeur de l'UCI. J'y ai vu des choses que j'aimais et d'autres que je n'aimais pas. Je me suis dit que quelque chose devait changer au sommet. Et personne d'autre n'a voulu se présenter.»
- Votre élection a été une vraie lutte face à votre prédécesseur Pat McQuaid…
«Ce fut une bataille, c'est clair. Mais il fallait passer par là pour tourner la page.»
- Après votre élection, Lance Armstrong a twitté: «Hallelujah». Pourquoi?
(Il rit) «Vous savez, Armstrong… je ne l'ai jamais rencontré.»
- Mais lui avez-vous parlé?
«Jamais! Même pas un coup de téléphone. C'est une figure du passé, et moi, je veux me concentrer sur le futur sans m'y attarder.»
- Ne faut-il pas être un peu masochiste pour présider l'UCI, en 2016? Vous saviez qu'en étant élu, vous feriez l'objet de toutes les critiques...
«Lorsque vous vous exposez, il y a toujours quelqu'un pour vous tirer dessus. Mais oui, je suis touché quand les gens émettent des allégations à mon sujet sans me connaître. Surtout de manière anonyme sur Internet.»
- Vous arrive-t-il de mal dormir?
«Je me réveille parfois la nuit, mais plutôt en pensant aux controverses et aux solutions que je dois trouver pour les corriger.»
- Justement, vous avez toujours clamé votre désir de redorer l'image du cyclisme. Où en est-on?
«Nettement mieux qu'avant. Prenez les organismes antidopages. Nous n'interférons pas avec eux. Aujourd'hui, ce n'est plus le président de l'UCI qui décide quel cycliste est contrôlé et lequel ne l'est pas. Ce sont des avocats qui supervisent le processus. Je suis averti à peine plus tôt que les médias quand un coureur est contrôlé positif, quelles que soient sa nationalité et son équipe, qu'il s'agisse d'une star ou non.»
- Mais il y a les moteurs, désormais. N'est-ce pas encore pire?
«Il n'y a pas à choisir. Je ne supporte aucune sorte de tricherie. On sait désormais que la fraude technologique existe et nous améliorons nos stratégies pour la repérer. Il n'y a pas si longtemps, on devait démonter les vélos, ce qui prenait un temps fou. Ces derniers mois, nous avons développé un système de scan capable de détecter tout matériel suspect, y compris dans les roues.»
- Quand l'utiliserez-vous?
«Nous avons déjà testé 1000 vélos cette année. La semaine dernière, nous avons encore contrôlé 270 vélos de piste lors des Mondiaux de Londres. On n'a rien trouvé.»
- Pourquoi ne pas systématiser les contrôles, ce qui rassurerait le public?
«Nous voulons agir de manière imprévisible. Les tests continueront à avoir lieu quand nous le déciderons. Comme lors du prologue de Paris-Nice, où les équipes n'étaient pas au courant.»
- Pouvez-vous garantir qu'il y aura des tests de matériel durant les JO?
«Il y aura des tests à Rio, oui, absolument.»
- Vous avez beaucoup misé sur le rapport de la Commission indépendante de réforme du cyclisme (CIRC). C'est votre fierté?
«Nous avons confié cette tâche à Dick Marty, quelqu'un de réputé ici en Suisse. Ce rapport s'est avéré lourd, mais représente un historique précis, truffé de détails, duquel j'ai retenu les recommandations pour le futur.»
- En revanche, votre réforme du cyclisme professionnel a souvent été repoussée. Peut-on parler d'échec?
«Nous avons passé beaucoup de temps pour préparer cette réforme avec tous les acteurs. Au final, il n'y a qu'un organisateur auquel elle ne plaît pas. Mais c'est le plus grand, ASO (ndlr: l'organisateur du Tour de France).»
- Comment défendre cette réforme?
«Ce que je souhaite, c'est offrir un système économique plus solide à l'ensemble du monde cycliste professionnel. Les équipes sont fragiles. Le cyclisme reste difficile à sponsoriser. Vous avez peu de droits TV, il n'y a pas de stade pour vendre des tickets, l'accès est gratuit. Des pays sont prêts à mettre de l'argent pour le cyclisme. Nous devons aller vers eux.»
- Mais vous comprenez que cela puisse gêner de voir des épreuves apparaître à Oman, au Qatar ou à Bahreïn?
«Je dis qu'il s'agit d'un nouveau défi. Cela ne modifie en rien l'héritage européen du cyclisme. Personne ne veut perdre le Tour de Romandie, le Tour de France ou les grandes classiques. Ils resteront les monuments de notre sport. Rien n'empêche de découvrir d'autres régions, d'autres coureurs. On ressent un vrai engouement en Afrique, en Asie ou en Amérique du Sud.»
- Vous êtes le No 1 du cyclisme mondial, mais n'êtes pas très connu en Suisse
«C'est sans doute vrai. Il faut dire que je ne passe pas beaucoup de temps ici, même si je m'y sens très bien. Je suis également membre de Swiss Cycling (ndlr: il sort sa carte de son portefeuille) et du Véloclub Montreux. Et puis, j'essaie autant que possible d'apprendre le français.»
- Vous avez baissé et rendu public le salaire du président à votre arrivée (340'000 francs). Pourquoi?
«C'était une démonstration de ma volonté de dépenser l'argent intelligemment. Auparavant, le salaire du président n'était même pas publié. Selon moi, il était trop élevé par rapport à la fonction. Mais ça reste beaucoup d'argent, proportionnel à une organisation d'un budget de 30 millions de francs.»
- Vous aviez dit que vous ne feriez qu'un mandat jusqu'en 2017. Ensuite?
«Il sera sans doute nécessaire de prendre plus de temps que prévu pour poursuivre nos projets. J'ai l'enthousiasme et l'énergie pour le faire. Je discute donc avec mes collègues et prendrai ma décision en temps voulu.»