Tennis«Je suis têtue: il y a toujours une solution»
Malgré dix mois sans match, Timea Bacsinszky se prépare avec la conviction de pouvoir s’offrir une dernière danse. Interview.
- par
- Mathieu Aeschmann

Timea Bacsinszky, ici lors du Ladies Open de Lausanne en 2019, estime avoir besoin de deux mois d’entraînement plein avant de reprendre la compétition.
Timea Bacsinszky, le tennis a repris en Suisse mais vous n’étiez que remplaçante à Montreux et ce sera encore le cas à Bienne lors de la Swiss Tennis Pro Cup. Pourquoi?
Principalement parce que je reprends progressivement en faisant attention de bien gérer mes soucis de dos. J’ai repris l’entraînement avec Erfan (Djahangiri, son coach) mais je ne peux pas encore augmenter les charges. Jouer trois matches en deux jours à Montreux n’aurait donc pas été judicieux. Quant à la Pro Cup (exhibition par équipes avec les cadres de Fed Cup et de Coupe Davis), c’est Swiss Tennis qui m’a attribué ce statut de joker. Ils m’ont dit: «t’es au milieu, entre les retraitées (Hingis, Schnyder) et les actives (Bencic, Teichmann): on ne sait pas où te mettre». Mais pas de souci, s’il faut que j’amène les cafés comme en Fed Cup, je le ferai avec plaisir (ndlr: elle a déjà montré ses talents en la matière dans un clip promotionnel pour «La Fabrique», voir ci-dessous).
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De combien de temps de préparation avez-vous encore besoin avant de revenir à la compétition?
Deux mois à fond serait l’idéal. Mes problèmes de dos, je vis avec depuis 2018 et j’ai toujours réussi à jongler, à me préparer sans prendre le risque de trop forcer dessus. Mais aujourd’hui, après une si longue période sans tournoi, j’ai plus de peine à évaluer mes besoins, ce qui est nécessaire pour régater à haut niveau. Cela dit, c’est un défi pour tout le monde, chaque fille devra faire avec un manque de rythme. Mais selon les styles de jeu, certaines auront besoin de plus ou moins de temps. Moi, j’ai toujours été une joueuse qui montait en puissance progressivement.
Vous êtes-vous néanmoins fixée un objectif de rentrée, par exemple Roland-Garros puisque la FFT semble vouloir absolument l’organiser (du 28 septembre au 11 octobre)?
C’est très dur de se fixer un calendrier par les temps qui courent. Déjà j’ai décidé que je ne jouerai pas en Suisse, ni les Interclubs de LNA ni des tournois. Ma motivation n’est pas la même que sur le circuit et, physiquement, ce serait compliqué pour moi d’enchaîner cinq matches en trois jours. Pour la suite, c’est le flou total en raison de la situation sanitaire. Est-ce qu’il y aura une deuxième vague? Les restrictions de voyage seront-elles maintenues dans certains pays, la WTA doit par exemple rester cinq semaines en Chine cet automne? Nous sommes aussi face à un cas de conscience. C’est notre devoir de citoyen de limiter les voyages mais notre métier exige de bouger sans cesse. En termes de santé publique, je ne suis pas certaine que ce soit très raisonnable d’amener deux fois 128 joueurs plus leur staff à New York pour un Grand Chelem. Donc j’ai dû mal à me projeter.
L’excitation de la compétition, cette envie d’aller au combat, me manque.
Avez-vous reçu une réponse de la WTA concernant votre classement protégé (99e)?
Pas encore. On va dire que ce n’est pas leur priorité en ce moment. En plus, je dois leur traduire mes rapports d’expert. Mais normalement ça devrait fonctionner; j’aurai donc un classement qui me permettra d’entrer dans le tableau des tournois du Grand Chelem.
Cela fait trois ans et ce 3e tour de Wimbledon contre Radwanska que vous luttez avec votre corps. Comment avez-vous vécu, globalement, cette longue séquence de doute?
Je me dis que cela fait partie d’une carrière et que j’ai eu la chance d’avoir été épargnée jusqu’à 27 ans. Après, il y a eu des moments plus compliqués; surtout en 2017 quand j’étais touchée à la main (kyste avec complications tendineuses et musculaires). J’ai trouvé cela injuste parce que j’étais au top physiquement. En plus, j’ai pas mal galéré pour revenir en 2018: il y a eu un mollet, puis l’autre. Les pépins s’enchaînaient. Mais j’ai toujours essayé de relativiser: après tout, ce n’est que du tennis, il y a des choses bien pires dans la vie. Et puis je pense avoir une force de résilience à part. C’est quelque chose qui est enfui en moi, qui m’appartient depuis toujours: je suis têtue, convaincue qu’il y a une solution. Je me le suis encore prouvée à l’hiver 2018-19 lorsque j’ai battu deux Top 10 (Sabalenka et Kasatkina). Ce deuxième «comeback» (après celui post-retraite en 2013) m’a fait beaucoup de bien et me donne de la force.
À quand remonte votre dernier match de référence, la dernière fois que vous vous êtes sentie en pleine possession de vos moyens sur le court?
Je dirais à l’Open d’Australie 2019 (défaite au 3e tour contre Muguruza). Je me sentais encore plutôt bien en début de saison sur terre: à Cagnes-sur-Mer et à Rabat. Et puis la défaite en qualifications à Roland-Garros m’a fait du mal. J’ai ressenti de l’anxiété en arrivant à Paris; comme si je n’étais pas dans le bon tableau et que je ne l’acceptais pas. J’ai ensuite perdu des matches serrés et mes douleurs au dos n’ont fait qu’empirer au point de devoir écourter ma saison.

Timea Bacsinszky en est persuadée: elle possède encore en elle la rage de se relever et de vaincre.
Est-ce que la vie sur le circuit vous manque?
Pas forcément. Les voyages et le stress de devoir les organiser ne me manquent pas du tout. Par contre, l’excitation de la compétition, cette envie d’aller au combat, tout cela me manque vraiment.
Vous avez joué deux demi-finales de Grand Chelem, gagné des titres, battu des grandes joueuses, qu’est-ce que vous avez encore à vous prouver sur un terrain de tennis?
(Elle réfléchit). C’est une bonne question. Plus que me prouver des choses, je crois que c’est l’envie de jouer qui me motive toujours. Si l’envie est là et que mon physique tient, je veux y aller. Alors bien sûr, il y a des frustrations. Comme lorsque j’ai été arrêtée par le confinement alors que je venais de subir une infiltration qui m’avait permis d’encaisser un bloc physique et que je reprenais à fond le tennis. Mais malgré les arrêts ou les douleurs, le plaisir est intact. Quand je me lève, j’ai toujours envie de taper des balles, d’aller courir, d’aligner des intermittents.
Un mot sur l’ambiance générale autour du tennis. On a l’impression que le circuit masculin enchaîne les polémiques alors que celui féminin est exemplaire. Les femmes sont-elles plus raisonnables?
Oui. Je crois que nous sommes plus responsables. Les garçons sortent davantage, il y a plus de chances de les voir en boîte de nuit que les filles. À ce titre, je ne comprends pas pourquoi la Suisse a permis la réouverture des clubs… Mais bref. Il faut aussi dire que le No 1 mondial ne donne pas vraiment le bon exemple. À mon sens, cette place au sommet impose des responsabilités supplémentaires. Or Novak Djokovic émet un jour des réserves sur la reprise du circuit puis il organise une exhibition avec un stade plein et des activités annexes. C’est tellement contradictoire. J’ai d’ailleurs l’impression que le désamour dont il souffre vient du fait que les gens perçoivent ses contradictions. Une chose est sûre, le tennis ne pouvait s’offrir plus mauvaise pub et je suis fière de voir que le circuit féminin s’est, à l’inverse, comporté de manière très responsable.
On vous le redemande Timea: y a-t-il une chance de vous voir dans le tableau de Roland-Garros, tournoi qui vous a tant réussi par le passé?
C’est possible. Mais je ne peux rien affirmer, encore moins décider. D’abord parce que le calendrier reste en suspens. Ensuite parce que j’ai toujours atteint mes objectifs pas à pas. Avec mon style, je ne peux pas miser sur un coup d’éclat. J’ai besoin d’enchaîner les matches, de trouver une dynamique pour construire de la confiance. Donc rien n’est impossible mais on verra.