LittératureJoël Dicker: «La bataille ne fait que commencer»
Il y croyait, un peu. On y croyait, beaucoup. Après avoir empoché notamment le Grand Prix du roman de l'Académie française, Joël Dicker a trébuché hier à Paris sur la plus haute marche: le Goncourt.
- par
- Fred Valet

«J'ai découvert l'ego, la jalousie, l'envie, la méchanceté. Et ça m'a parfois frappé de plein fouet.»
Si l'écrivain genevois au succès fulgurant avait de quoi tuer Chessex, quarante ans après «L'ogre», il a fait vivre à toute la Romandie une aventure inédite, folle et, surtout, méritée. «La vérité sur l'affaire Harry Quebert» s'est déjà vendu à plus de 150 000 copies. Un phénomène qui ne va pas s'arrêter en si bon chemin. Malgré les critiques. Violentes même, comme Patrick Rambaud, membre du jury, qui a qualifié l'œuvre de «roman de plage aux dialogues médiocres» en mâchant un petit-four. Mais si, dans le très chic Restaurant Drouant, le jury lui a préféré Jérôme Ferrari («Le sermon sur la chute de Rome»), le Suisse avait du soutien. Bernard Pivot et Pierre Assouline le portaient favori. Didier Decoin, fan de romans policiers, a avoué avoir voté pour lui. On a rencontré Joël Dicker peu après sa défaite, dans les bureaux de son éditeur français, De Fallois. Tout sourire.
Obama a gagné, vous non. C'est donc une demi-victoire?
Une victoire totale, oui! Les Etats-Unis ont besoin d'Obama et je suis fier de sa réélection. La veille du Goncourt, après avoir mangé en famille, j'ai commencé à suivre cette folle nuit. Mais, comme tous les quatre ans, je me suis endormi. (Rires.)
Comment avez-vous vécu l'attente?
Comme une équipe de campagne en pleine élection. Avec des membres de ma famille, nous étions dans les bureaux de De Fallois. Et j'ai appris la nouvelle sur Twitter, juste avant le fameux coup de fil.
Le premier mot de votre maman?
C'est moi qui l'ai appelée pour qu'elle l'apprenne de ma bouche. Je lui ai dit: «Ne t'en fais pas, je vais bien.»
Votre première réaction à vous?
(Silence.) Je me suis dit que tout ça, ce n'était pas bien grave. La bataille ne fait que commencer. Pour le livre, comme pour moi. Au départ, il n'y avait absolument aucune attente sur mon roman.
Mais l'attente a débarqué à toute vitesse…
C'est vrai, mais je n'ai pas eu le temps de me poser trop de questions. Mais le vrai bouche-à-oreille démarre tout juste.
Vous êtes tout de même un peu déçu, avouez…
Déçu, non. Je crois que tout le monde attendait ma réaction avant de montrer la moindre émotion. D'autant que l'on vit tout ça en équipe. Je suis déçu pour la Suisse, pas pour moi. Quand Alain Berset en personne m'a appelé pour me remercier de faire rayonner la Suisse dans le monde, j'ai réalisé à quel point tout un pays était derrière moi.
Vos détracteurs évoquent un style peu littéraire, des dialogues faibles… Les critiques sont plus rudes à digérer quand elles sont peu nombreuses?
Au contraire, ces critiques remettent l'église au milieu du village et donne de la valeur et du sens aux bonnes critiques.
Vous vous êtes parfois senti dans la peau d'un imposteur?
C'est mon 6e livre et le 2e qui a été publié. Sans compter les brouillons, les idées lancées qui ne retombent pas, la déception, les refus. Alors, vraiment, non.
Vous vous êtes aussi frotté à la jalousie du milieu, notamment en Romandie…
Oui, c'est vrai. Quand, par exemple, Claude Frochaux (ndlr: ancien éditeur chez l'Age d'Homme) vomit sur mon livre sur les ondes, je suis fâché. Qu'il n'aime pas mon roman, c'est son droit. Mais mon succès est aussi celui de l'éditeur qui peut assurer son avenir. Les gens aigris, je les évite. J'ai eu de nombreux soutiens. De Metin Arditi à Quentin Mouron en passant par Jean-Michel Olivier. Je veux faire partie de la Suisse qui gagne.
Vous n'avez pas eu le temps d'intégrer la famille littéraire romande avant de filer à Paris. Vous allez en profiter pour rester à part?
Bien sûr que non. J'espère de tout cœur que cette famille m'a déjà accepté!
Vous dites avoir déjà commencé à écrire le troisième. Encore un pavé de 700 pages?
Si les gens ont pu digérer 700 pages, je vais essayer 800! (Rires.) Sérieusement, je ne suis pas parti pour faire un petit livre, mais je ne suis qu'au début. Je ne peux pas me passer des histoires au long cours.
Il va sortir très vite évidemment.
Au contraire. Je ne veux pas que les gens se disent: «Dicker, comme d'autres, a fait un bon 2e livre et s'est planté au 3e.»
Et il va falloir retrouver la solitude de la plume…
Je me réjouis. La promo, l'ébullition, tout ça, ça fait partie du jeu, mais mon plaisir à moi, c'est d'écrire.
Vous semblez très à l'aise partout. C'est un masque?
Le trac, je l'ai. Au début en tout cas. Mais je me sens bien avec ce que je suis et ce que je montre.
On a l'impression que rien ne vous atteint, c'est énervant…
C'est une protection aussi. (Il marque une pause.) Non, je corrige: c'est une philosophie, je crois. J'aime la bagarre. Je n'ai pas eu le prix? Très bien, je vais vous prouver que je méritais tout ça.
Allez, c'est quoi le point faible de Joël Dicker?
(Silence.) Une naïveté crasse. Je pars du principe que l'humain est bon, ce qui me fait parfois tomber de haut.