JusticeL'affaire Grégory hante les mémoires depuis 30 ans
Il y a 30 ans, la France découvrait, choquée, l'assassinat du petit Grégory Villemin, dans un petit village de l'est du pays. Aujourd'hui, ce drame reste encore bien vivace dans les esprits.
Une incroyable énigme criminelle doublée d'un naufrage judiciaire et médiatique: depuis trente ans, l'assassinat dans un village des Vosges (est de la France) de Grégory Villemin, quatre ans, ne finit pas de hanter les mémoires.
Cette affaire sans coupable ni mobile qui a bouleversé la France en 1984 a fait l'objet de 3000 articles de presse, une cinquantaine de travaux universitaires, un téléfilm et une quinzaine d'ouvrages - récits, romans ou souvenirs de protagonistes.
Au soir du 16 octobre 1984, la découverte du cadavre du petit garçon jeté pieds et poings liés dans les eaux froides d'une rivière, la Vologne, marquait le début de «l'affaire Grégory». La lettre d'un «corbeau» anonyme revendiquant le meurtre en invoquant une «vengeance», apparemment postée à l'heure où le corps n'avait pas encore été retrouvé, donnait d'emblée à cet horrible fait-divers une dimension mystérieuse.
Une agitation médiatique
Tandis que l'enquête est confiée à un «petit juge» inexpérimenté du tribunal d'Epinal, Jean-Michel Lambert, les journalistes affluent de toute la France dans la vallée de la Vologne, transformée sous leurs plumes en «champ clos minuscule emprisonné par d'ignobles secrets» et peuplée d'habitants «murés dans leur silence».
Les investigations des gendarmes sont suivies pas à pas, certains journalistes n'hésitant pas à se faire passer pour eux auprès des proches de la famille ou à payer des témoins, des photographes se livrant à des mises en scène morbides sur la tombe de l'enfant.
Différentes accusations
Bernard Laroche, un cousin de Jean-Marie Villemin, le père de Grégory dont il jalouse la réussite, est d'abord soupçonné: inculpé d'assassinat, un temps incarcéré, il est cependant remis en liberté le 4 février 1985. Convaincu de sa culpabilité, Jean-Marie Villemin l'abat d'un coup de fusil de chasse et sera condamné pour ce meurtre à 4 ans de prison en 1993.
En juillet 1985, le juge Lambert opère un spectaculaire revirement: il porte ses soupçons vers Christine Villemin, la propre mère de l'enfant, aussitôt décrite dans certains médias comme une «ogresse perverse» ou une «sorcière démoniaque». La romancière Marguerite Duras s'en mêle en prenant parti dans le quotidien de gauche Libération pour la culpabilité de la mère dans un article suscitant une forte polémique.
Christine Villemin sera totalement innocentée en 1993 au terme d'un non-lieu retentissant pour «absence totale de charges», formule inédite aux accents d'excuse et d'aveu d'erreur judiciaire.
Indices matériels manquants
L'affaire est transférée en 1987 au tribunal de Dijon, qui reprend l'enquête à zéro. Mais les indices matériels manquent: les gendarmes oublient de relever les traces de pneus près de la rivière, les prélèvements sur le terrain ont été mal collectés, l'autopsie de l'enfant a été incomplète. Les graphologues se déchirent aussi sur l'analyse de l'écriture de la lettre anonyme.
A l'époque en France «tout était fondé sur l'aveu et le témoignage», résume Alain Buquet, auteur d'un «Manuel de criminalistique moderne». La leçon sera tirée de ce fiasco: une véritable police technique et scientifique sera mise sur pied. L'affaire est relancée en 1999, puis en 2008, pour tenter de confondre d'hypothétiques traces d'ADN sur les scellés. Certains mélanges génétiques ont pu être isolés.
«Tout a été repris, revérifié. On a mis beaucoup de moyens pour permettre d'avancer», assure aujourd'hui à l'AFP Jean-Jacques Bosc, le procureur général de Dijon chargé du dossier. Mais certaines pièces à conviction sont détériorées à force d'être passées de main en main, d'autres ont été mal conservées. Les analyses n'ont pour l'instant rien donné.
Reste une certitude amère pour les experts: si Grégory était assassiné aujourd'hui, son meurtrier serait démasqué. Le rappel de l'histoire en vidéo: