RussieL'ambassade suisse infiltrée par une organisation secrète
À Moscou, le diplomate Yves Rossier a été surpris à propager l'humour absurde des Chaux-de-Fonniers Plonk & Replonk.
- par
- Michel Pralong
Il se passe des choses étranges dans la toute nouvelle ambassade de Suisse en Russie, inaugurée en juin à Moscou. Mais pas besoin d'un espionnage intensif pour découvrir le principal responsable de ce complot, l'ambassadeur Yves Rossier se met à table dès le premier contact: «Ma fonction à Moscou n'est qu'une couverture: je suis ici en mission pour l'ASAP (Association Secrète des Adorateurs de Plonk), organisation dont je suis membre et dont le but est la propagation universelle de la pensée Plonk.»
Et pour répandre la bonne parole de Plonk & Replonk, collectif initié par deux frères de La Chaux-de-Fonds, éditeurs, bétonneurs de nains et dont les cartes postales anciennes détournées ont fait le bonheur de divers journaux, de «Fluide Glacial» à «Vigousse», le diplomate a carrément fait éditer par la Confédération un fascicule de propagande, intitulé «Vacances d'hiver à la plage». (Qui n'a rien coûté à Berne, les frais ayant été pris en charge par des sponsors).
Pour Russes uniquement
Un recueil d'images reprises des créations de Plonk & Replonk et adaptées pour un public russe. Yves Rossier les distribue à ses invités, russes uniquement, afin de montrer que la création helvétique ne se résume pas au couteau ou au coucou suisses. Et pour lui, c'est quasi révolutionnaire: «L'irruption de la pensée Plonk dans l'espace culturel russe est sans conteste un événement historique d'une importance considérable, comparable à l'invention de l'imprimerie, la formulation de la théorie de la relativité générale ou à la réception de la philosophie grecque au XIIIe siècle en Europe, grâce aux penseurs arabes d'Afrique du Nord.»
L'ambassadeur a des complices. à commencer par la traductrice Natalia Anokhina, qui a d'ailleurs fait davantage que de retranscrire en cyrillique les textes en français des images sélectionnées pour l'occasion par Plonk. «J'ai commencé par imaginer les légendes en ne considérant que les images. Puis, avec l'ambassadeur, nous avons rédigé les textes en russe: j'avais parfois imaginé une légende identique à l'original mais, souvent, nous avons choisi des textes complètement différents, car il fallait trouver des références adaptées au public russe».
Vive La Chaux-de-Fonds!
La préface de l'ouvrage a été confiée à Michail Maiatsky, professeur de langues et civilisations slaves à l'Université de Lausanne et, évidemment, membre de l'ASAP. «J'y explique aux Russes que La Chaux-de-Fonds n'est pas le berceau que du Corbusier, de Blaise Cendrars ou de Louis Chevrolet. Il y a également Plonk & Replonk, dont l'esprit n'est pas si éloigné de celui de l'écrivain russe Gogol et de son «Journal d'un fou».
Car si Plonk & Replonk peuvent désarçonner les esprits les plus cartésiens, la réception en terre slave pourrait s'avérer plus aisée. «L'absurde est récurrent dans la culture russe, confirme Natalia Anokhina, depuis les contes de Pouchkine jusqu'à aujourd'hui, en passant par Gogol et Boulgakov. Quant à l'humour noir, c'est une longue tradition que notre histoire nous a largement permis de le cultiver.»
Tiré à 1000 exemplaires, cet ouvrage introuvable dans le commerce a donc déjà commencé à circuler à Moscou, et pas vraiment sous le manteau puisque l'ambassadeur l'offre au regard de tous. «Il a déjà reçu de nombreux commentaires – dithyrambiques évidemment », constate, toujours enthousiaste, Yves Rossier. Un livre qui a suscité «beaucoup de rires, confirme la traductrice. Mais aussi de la surprise et de l'admiration face au fait que des artistes qui, comme me l'a expliqué l'ambassadeur, habitent une caverne sans eau ni électricité dans une région reculée de la Suisse et vivent de rapines et de braconnage, pratiquent un humour aussi universel».
Yves Rossier avait déjà sévi
Contacté, l'un des deux malandrins, Hubert Froidevaux pour ne pas le nommer, a tellement adoré se voir ainsi traduit «qu'il n'aimerait plus faire que cela». «Donner à des images que l'on avait réalisées autrefois un nouveau sens approprié à un autre public, c'est génial.» Car si, évidemment, l'humour original de Plonk & Replonk s'exporte sans retouche en France ou en Belgique (voire avec des détournements réalisés exprès pour ces publics), des traductions existent déjà. En portugais, «parce que ma belle est portugaise, ça aide», dit Hubert. Et en anglais. Déjà du fait d'Yves Rossier. C'est lui qui, alors qu'il était Secrétaire d'État et donc «chef des ambassadeurs», leur avait fourni un livre de Plonk & Replonk à distribuer en cadeau. L'ouvrage avait également circulé via Nicolas Bideau et Présence suisse, l'organisme chargé du rayonnement de la Suisse dans le monde. Les adorateurs de Plonk sont décidément diablement efficaces.