ProstitutionL'amour dans les déchets
Privées de salon, les travailleuses du sexe de la rue de Genève, à Lausanne, en sont réduites à officier sur le trottoir. Cela pose des problèmes d'hygiène et de sécurité. Reportage.
- par
- Laurent Grabet

Sara officiait dans un des 13 salons de ce bâtiment de la rue de Genève fermés en mai. Désormais, la prostituée roumaine en est réduite à travailler dans des endroits glauques.
Avant la fermeture des salons de la rue de Genève 85, les prostituées lausannoises avaient un lit, un lavabo, des toilettes, un peu de chaleur et un semblant de sécurité assuré par la présence de leurs collègues. Aujourd'hui, elles officient au fond d'un parking lugubre sur le siège arrière de la voiture de leur client. Parfois chez lui. Ou bien souvent debout, adossées contre une benne dans une allée du quartier de Sévelin. «Parfois matées par des voyeurs, nous explique Sara entre deux passes. Depuis qu'on nous a mises à la rue, on n'a plus le choix. Question hygiène et sécurité, c'est la cata!»
Faute de plan B, elles encaissent
Cette Roumaine de 23 ans est l'une des 52 prostituées qui travaillaient dans un des treize salons fermés fin mai pour cause d'insalubrité et de non-respect des normes incendie. Elle et nombre de ses collègues se sont donc rabattues sur la rue. Comme des Bulgares et des Africaines le faisaient avant elles, histoire d'économiser les 500 francs de loyer hebdomadaire que le propriétaire facturait à chaque prostituée pour une chambrette qu'elles pouvaient être trois à se partager.
Elka, une Roumaine de 32 ans, confirme l'évidence: «C'est pire qu'avant! Du coup, beaucoup de filles sont rentrées au pays.» Mais certaines sont déjà revenues. D'autres ont trouvé à se prostituer ailleurs. «Faute de plan B pour l'instant», Elka et ses copines harponnent le client dans la rue. Sans grand succès, comme le confirme Jean-Philippe Pittet, porte-parole de la police lausannoise: «Les travailleuses du sexe ont du mal à trouver des clients dans ces conditions. Notre brigade des mœurs a renforcé sa présence sur place depuis la fermeture des salons pour observer l'évolution de la situation. Et, globalement, le nombre de travailleuses du sexe a passablement diminué dans la zone.»
Face à cette «demande» insuffisante, certaines diminuent le prix de la passe jusqu'à 50 francs. Mais ce n'est pas le cas de Sara et d'Elka. Les deux Roumaines ont en permanence avec elles un cornet Migros contenant des habits de rechange, de quoi se laver et du papier toilette. Désormais privées de locaux, elles sont en effet parfois contraintes, comme leurs clients, de se soulager dans la rue. Entre deux préservatifs usagés et des lingettes souillées de sperme et de cyprine, il n'est ainsi pas rare d'apercevoir sur le bitume un étron ou une flaque d'urine. «Cela fait des années que l'on demande que des toilettes mobiles soient installées dans la zone, mais les autorités répliquent que cela coûte trop cher en nettoyage!» déplore Anne Ansermet. Aujourd'hui, la présidente de Fleur de Pavé, association de défense des prostituées, craint surtout pour la sécurité des filles. «Ces femmes ont besoin de travailler et ont dû s'adapter, mais plusieurs ont déjà été victimes de racket et d'agression depuis la fermeture des salons», déplore-t-elle.
Peur de l'agression et de l'avenir
Elles sont aussi davantage à la merci des jeunes zonards en voitures tunées qui passent toutes leurs soirées là sans que ni les policiers, ni les filles, ni leurs clients ne comprennent très bien pourquoi. Et puis, au rayon des peurs diffuses, il y a celle du lendemain qui se fait plus pesante. «Sans adresse fixe, on n'a aucune chance que nos demandes de permis B aboutissent», s'inquiète ainsi Sara tandis que le ballet des voitures se poursuit. Une fille parlemente avec un inconnu avant de monter dans son véhicule. Et l'homme met les gaz vers une destination inconnue.