«Féminicides»L'Argentine se mobilise contre les crimes machistes
Des cas très médiatisés de femmes victimes de violences ont choqué les Argentins qui manifestent contre les «féminicides».
Une institutrice de maternelle égorgée devant ses élèves, une adolescente enceinte enterrée par son ex-petit ami: les Argentins tirent la sonnette d'alarme et se mobilisent ce mercredi 3 juin à Buenos Aires contre les «féminicides».
Ces deux crimes, et celui d'une Argentine criblée de balles par son ex-compagnon éconduit alors qu'elle se trouvait à la terrasse d'un café, paraissent être les détonateurs d'un mouvement.
«Pas une de moins»: depuis quelques semaines, ce slogan est devenu viral en Argentine, tagué dans les rues, partagé sur les réseaux sociaux. «Ni una menos» est un cri de protestation contre le féminicide, le meurtre d'une femme en raison de son sexe, par un homme se sentant doté sur elle du pouvoir de vie et de mort.
53 femmes brûles vives
Les chiffres sont glaçants. Toutes les 31 heures, une victime meurt pour des motifs liés à sa condition de femme : tuée parce qu'elle est tombée enceinte, poignardée par jalousie, assassinée après un divorce.
La situation est cependant encore plus préoccupante au Mexique, en Amérique centrale ou au Brésil.
S'il n'existe pas de statistiques officielles en Argentine, l'ONG argentine Casa del encuentro, qui se consacre aux droits des femmes, a dénombré 277 féminicides en 2014. Entre 2010 et 2012, 53 femmes sont mortes brûlées vives.
Population secouée
L'un des derniers crimes à avoir secoué la population argentine est le meurtre de Maria Eugenia Lanzetti, une institutrice de 44 ans qui travaillait dans une école maternelle de Cordoba.
Son ex-mari avait l'interdiction de s'approcher d'elle, et elle disposait d'une touche «anti-panique» sur son portable, lui permettant de joindre rapidement la police. Le 15 avril, il est entré dans sa salle de classe et l'a décapitée devant ses jeunes élèves.
Un autre cas très médiatisé a été celui de Chiara, une jeune fille de 14 ans, enceinte, retrouvée morte enterrée dans le jardin de la maison de son petit ami âgé de 16 ans. Il a avoué l'avoir tuée en la rouant de coups de poing sur le visage.
«Société malade»
Ces homicides de jeunes filles ou de femmes dont parlent les médias argentins ne représentent qu'une infime portion de tous les féminicides perpétrés dans le pays, «dans une société malade de paradigmes machistes où la femme est encore une "chose à dominer"», a expliqué à Fabiana Tuñez, directrice de Casa del Encuentro.
«Face à ça, l'Etat est en retard», affirme cette militante. «Nous demandons l'application d'un plan national pour éradiquer la violence de genre: cela passe entre autres par l'élaboration de statistiques officielles, ou par une réforme éducative qui inclurait l'enseignement de la thématique de la violence de genre. Il reste encore beaucoup à faire pour démanteler la culture machiste dans notre pays».
Crimes motivés par la misogynie
Pourtant, le concept de féminicide est intégré au Code pénal argentin depuis 2012 en tant que circonstance aggravante à l'homicide. Alors que l'homicide est puni de 12 à 25 ans de prison, la peine encourue est élevée à la perpétuité en cas de féminicide.
«Les féminicides sont des assassinats motivés par la misogynie, car ils impliquent du mépris et de la haine envers les femmes. Ils sont motivés par le sexisme car les hommes qui les assassinent se sentent supérieurs aux femmes et considèrent qu'ils ont le droit de leur ôter la vie», selon l'Observatoire citoyen national des féminicides du Mexique.
Les Codes pénaux de 15 autres pays latino-américains, dont le Chili, le Pérou, la Colombie et depuis cette année, le Brésil, reconnaissent le féminicide.
En France, le terme est entré dans le Petit Robert en 2014 mais pas dans la loi. Jean-François Bouvier, le père d'une des deux jeunes femmes assassinées à Salta (nord-ouest argentin) en 2011, milite pour que la notion de féminicide figure dans le code pénal, en France aussi.