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ImmigrationL'initiative du 9 février pourrait être jugée illégale

Deux juristes ont déposé une plainte auprès du Tribunal fédéral pour violation de la norme antiraciste. Un slogan de l'UDC est en cause.

Le slogan d'origine a figuré sur le site internet jusqu'à fin 2013.

Le slogan d'origine a figuré sur le site internet jusqu'à fin 2013.

Archives, Keystone

En raison d'une annonce intitulée «Des Kosovars poignardent un Suisse!», diffusée par l'UDC pendant la campagne sur l'initiative contre l'immigration de masse, la votation du 9 février pourrait être jugée illégale par le Tribunal fédéral. S'il qualifie ce slogan de raciste, l'électorat aurait alors été manipulé par un acte punissable.

Deux Zurichois, un spécialiste du droit pénal et un spécialiste du droit constitutionnel, ont déposé plainte jeudi 29 janvier pour violation de la norme antiraciste. Cette procédure emboîte le pas à une autre déjà en cours: le secrétaire général de l'UDC Martin Baltisser et sa suppléante Silvia Bär doivent répondre devant la justice de discrimination raciale.

Deux Kosovars ont déposé plainte contre les deux cadres du parti. Selon l'acte d'accusation, obtenu vendredi, le Ministère public de Berne-Mittelland requiert contre M. Baltisser et Mme Bär des peines pécuniaires avec sursis. En raison de la publication de cette annonce, ils sont notamment accusés de discrimination raciale répétée et intentionnelle. Ils seront jugés fin avril.

Toni Brunner mis hors de cause

La plainte vise ces deux cadres, car ils ont apporté une contribution très importante à la diffusion de cette annonce, en collaboration avec le président du parti Toni Brunner.

M. Brunner lui-même ne devra toutefois pas s'asseoir à leurs côtés sur le banc des accusés, même si la procédure pénale avait initialement été dirigée contre lui. En 2013, le Parlement avait refusé de lever l'immunité parlementaire du conseiller national saint-gallois.

L'avocat zurichois David Gibor, qui représente les deux plaignants kosovars accusant l'UDC de racisme, estime pour sa part que le secrétaire général de l'UDC Martin Baltisser et sa suppléante Silvia Bär font office de pions, en étant tenus pour responsables de l'hostilité de l'UDC envers les étrangers et requérants d'asile.

David Gibor s'était opposé à plusieurs reprises au classement de la procédure par le Ministère public de Berne-Mittelland. En septembre dernier, la Cour suprême du canton de Berne a obligé le Ministère public à poursuivre une instruction pénale pour discrimination raciale.

A quelques voix près

L'annonce controversée renvoyait à l'agression au couteau subie par un lutteur, candidat sur les listes UDC au Grand Conseil bernois, grièvement blessé par un Kosovar. Quelques journaux ont accepté de la publier en la mettant au singulier: «Un Kosovar poignarde un Suisse».

Le slogan d'origine a par contre figuré sur le site internet jusqu'à fin 2013, ainsi que sur certaines initiatives contre l'immigration de masse.

Selon les deux spécialistes zurichois, la campagne a été influencée par cette annonce à caractère raciste et a pu influencer de manière décisive le résultat de la votation. Le texte de l'UDC a été accepté en votation le 9 février dernier par 50,3% des citoyens.

L'initiative a été acceptée de justesse, abonde David Gibor. Sur trois millions de bulletins déposés, il aurait suffi que 9000 voix basculent dans le camp du non pour que le texte soit rejeté.

Cette annonce n'avait rien à voir avec la campagne, rétorque Martin Baltisser. Elle était déjà parue pendant quelques jours en 2011, affirme-t-il.

Le fait de faire l'objet d'une plainte ne l'inquiète pas d'ailleurs outre mesure. «Il faut se poser la question s'il est encore possible en Suisse d'exposer un fait», a-t-il commenté. Même son de cloche concernant la plainte des deux Zurichois: elle est «absurde», a-t-il tranché.

Pas un cas isolé

Un avis que ne partage pas du tout David Gibor: cette annonce est discriminatoire pour plusieurs raisons. Il y a le slogan, mais aussi la présentation graphique et la connotation négative qu'elle véhicule.

Sur l'image figurent plusieurs chaussures noires qui piétinent le drapeau suisse. Cette configuration veut montrer que la Suisse et les Suisses sont menacés, d'après l'avocat des plaignants.

Et de renchérir: le slogan sous-entendait en plus que deux Kosovars étaient impliqués dans ce fait divers, alors qu'on savait déjà lors de la publication de l'annonce, que la deuxième personne d'origine kosovare avait été mise hors de cause.

L'UDC a de son côté argumenté à plusieurs reprises que cette annonce faisait référence uniquement à cet acte et ne visait pas tous les Kosovars. «Les annonces publiées lors des campagnes font forcément référence à des phénomènes globaux et non pas à des cas isolés», analyse David Gibor.

L'UDC s'agite depuis des années et dans tout le pays contre l'immigration de masse, investissant de grosses sommes d'argent. L'annonce en question ne visait donc pas que deux Kosovars, selon lui.

Avis partagés sur l'issue de la plainte

Selon l'ex-président de la haute instance Giusep Nay, il est possible que le résultat du scrutin soit annulé. Le Tribunal pourrait reconnaître que l'annonce intitulée «Les Kosovars poignardent les Suisses!», diffusée par l'UDC pendant la campagne, a influencé le vote.

Une telle décision est impossible pour le professeur de droit Andreas Auer. Le Tribunal fédéral ne va jamais oser invalider une votation populaire, a-t-il poursuivi. C'est très rare que la haute instance interfère dans la vie politique.

En revanche, il n'est pas exclu que le Tribunal fédéral juge que l'annonce a violé les droits politiques, nuance-t-il. Ce serait une décision importante et difficilement acceptable par la population.

(ats)

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