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CréationL'opéra d'une gare en enfer

Le compositeur suisse Louis Crelier a convaincu le duo de BD Christin et Bilal de lui façonner un conte apocalyptique qu'il a mis en musique. Embarquement ce week-end à Neuchâtel.

par
Michel Pralong

Pour ceux qui croient que l'opéra est un genre qui ne sait pas se renouveler, «La citadelle de verre» va les détromper. Dans un décor d'une gare de science-fiction, une poignée d'humains fuyant une guerre sans nom vont se retrouver coincés entre de multiples et inquiétantes factions qui s'entre-déchirent.

Dans cette époque indéfinie, l'armée régulière a confié la défense de l'endroit au chef de gare, Anton Carcaval, qui non seulement doit tenter de faire partir encore quelques trains vers l'espoir mais aussi résister à l'envahisseur. Dans cette fragile citadelle de verre, plusieurs destins s'entremêlent. Il y a Anna, la rescapée, et Mirko, le jeune officier qui l'a sauvée. Mais aussi un marchand d'armes, un riche couple qui valse et ceux qui font partie du décor mais que, d'habitude, on ne remarque jamais: la barmaid et le clochard. Tous ces personnages vont vivre une journée en enfer, dans l'attente angoissante d'un dénouement que l'on imagine malheureux.

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Dans un décor d'une gare de science-fiction, une poignée d'humains fuyant une guerre sans nom vont se retrouver coincés entre de multiples et inquiétantes factions qui s'entre-déchirent. C'est la «La citadelle de verre», un Opéra qui sera présenté en première mondiale ce week-end à Neuchâtel. Ici, Francesco Biamonte (Le Clochard) et Clara Meloni (Anna).

Dans un décor d'une gare de science-fiction, une poignée d'humains fuyant une guerre sans nom vont se retrouver coincés entre de multiples et inquiétantes factions qui s'entre-déchirent. C'est la «La citadelle de verre», un Opéra qui sera présenté en première mondiale ce week-end à Neuchâtel. Ici, Francesco Biamonte (Le Clochard) et Clara Meloni (Anna).

Laurent Crottet
Dans cette époque indéfinie, l'armée régulière a confié la défense de l'endroit au chef de gare, Anton Carcaval, qui non seulement doit tenter de faire partir encore quelques trains vers l'espoir mais aussi résister à l'envahisseurIci Sacha Michon dans le rôle de Carcaval.

Dans cette époque indéfinie, l'armée régulière a confié la défense de l'endroit au chef de gare, Anton Carcaval, qui non seulement doit tenter de faire partir encore quelques trains vers l'espoir mais aussi résister à l'envahisseurIci Sacha Michon dans le rôle de Carcaval.

Laurent Crottet
Sacha Michon dans le rôle de Carcaval. Lors d'une répétition, mardi.

Sacha Michon dans le rôle de Carcaval. Lors d'une répétition, mardi.

Laurent Crottet

Décor futuriste en projection

Un thème sombre qui, évidemment, ne se prête pas aux mêmes décors et costumes que «La flûte enchantée». C'est pour cela que c'est Enki Bilal qui les signe. Le dessinateur BD de «La foire aux immortels» ou du «Sommeil du monstre» a l'habitude de tels univers. La gare qu'il a imaginée en dessin est projetée sur les murs, formant une fresque illusoire servant de décor aux chanteurs qui portent des tenues et uniformes oscillant entre futurisme et archaïsme. Bilal s'était déjà brillamment essayé à la scène en signant décors et costumes du ballet «Roméo et Juliette» sur une chorégraphie d'Angelin Preljocaj. S'il a accepté de le refaire pour «La citadelle de verre», c'est parce que c'est son vieux complice Pierre Christin, son scénariste de «Partie de chasse» ou des «Phalanges de l'ordre noir», qui signe le livret de cet opéra.

L'intervention de ces deux grands de la BD, on la doit à Louis Crelier. Le compositeur neuchâtelois a notamment écrit des musiques de films, dont plusieurs pour Denis Rabaglia («Azzuro»). «Je cherchais quelqu'un pour un livret d'opéra et, en 1997, Bilal m'a aiguillé sur Christin. Pour moi qui ai été biberonné par le journal Pilote, dans lequel les deux publiaient leurs histoires, faire appel à la BD était évident.»

Fan d'opéra, Pierre Christin a été facile à convaincre. «J'ai toujours trouvé qu'écrire pour la BD ou être librettiste d'opéra, c'est un peu la même chose, dit-il. On doit penser à l'art de l'autre, son dessin ou sa musique.» Le décor de la gare s'est imposé, «car j'aime ces architectures de fer et de verre». Quant au thème, celui de la guerre urbaine, il est omniprésent depuis des années. À l'époque où il a écrit ce livret, elle se déroulait au Kosovo, mais bien d'autres ont suivi. «Ce qui se passe en Syrie aujourd'hui me bouleverse. Alep transformé en champ de ruines, c'est effrayant.»

Pas question toutefois d'amener la guerre sur scène. Ce qui y plane, c'est la menace. «Et la musique de Louis doit susciter l'inquiétude jusque dans la salle.» Une musique contemporaine, proche de celle du cinéma et qui ne boude pas les mélodies. C'est l'Orchestre de l'opéra national de Tbilissi, en Géorgie, qui l'interprète. Et ses instruments vont, en quelque sorte, revenir à la maison. Ceux à corde ont en effet tous été conçus par le luthier de La Chaux-de-Fonds Claude Lebet à partir du bois de deux arbres de la région, le sapin rouge et l'érable plane. Sur la scène, un chœur d'une trentaine de personnes et huit solistes romands chantent en français les dialogues de Christin et Valérie Letellier. «Quand j'ai su que Bilal faisait décors et costumes, j'ai tout de suite dit oui», explique Francesco Biamonte, fan du dessinateur et qui joue ici le clochard. «Le seul personnage qui ne sort jamais de scène, une espèce de Diogène qui contemple les passions humaines, agissant peu. Mais quand il le fait, c'est par compassion.»

Vingt ans d'attente

La soprano Clara Meloni, elle, n'a découvert Bilal qu'une fois engagée dans le projet. «Je me suis vite rendu compte que ses univers sont proches de celui de «La citadelle de verre».» Elle interprète la belle Anna. Celle pour qui l'espoir existe encore? «J'aime les fins ouvertes, dit Christin. Et l'un des grands thèmes d'opéra est l'amour de deux êtres, capable de compenser la mort de beaucoup d'autres.» Suite à de multiples déraillements et fausses promesses, «La citadelle de verre» est restée à quai pendant vingt ans. Louis Crelier la met enfin sur les rails en première mondiale ce week-end à Neuchâtel. Ne ratez pas ce train-là!

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