TurquieL'opposition défie Erdogan
Un «congrès pour la justice» est organisé par l'opposition turque pour dénoncer les abus attribués au président Erdogan.
Le chef du principal parti d'opposition turc Kemal Kiliçdaroglu a accusé samedi le président Recep Tayyip Erdogan de diriger le pays en «tyran», lors de l'ouverture d'un «Congrès pour la justice» de quatre jours. Toute la population a «soif de justice», a-t-il lancé.
Le chef du Parti républicain du peuple (CHP) a ouvert ce congrès inédit dans la province de Canakkale (nord-ouest). Celui-ci se tient un peu plus d'un mois et demi après le rassemblement géant qui a marqué la fin de la «marche pour la justice» durant laquelle M. Kiliçdaroglu a parcouru à pied les 450 kilomètres entre Ankara et Istanbul, ralliant une foule croissante tout au long du parcours.
«Il n'y a pas de droit, de loi ou de justice dans ce pays», a-t-il déclaré samedi devant des milliers de ses partisans. «Ce n'est pas une personne, mais 80 millions qui ont soif de justice». «C'est mon devoir de réclamer justice. C'est mon devoir de me tenir aux côtés des innocents et contre les tyrans», a-t-il ajouté.
«Coup d'état civil»
M. Kiliçdaroglu a réitéré ses accusations selon lesquelles l'instauration de l'état d'urgence quelques jours après le putsch manqué du 15 juillet 2016 et les purges qui ont suivi constituent un «coup d'état civil» mené par le pouvoir turc. Plus de 50'000 personnes ont été arrêtées sous l'état d'urgence et plus de 140'000 ont été limogées ou suspendues, dont des universitaires, des magistrats et des policiers.
«Des milliers d'universitaires ont été limogés. Les prisons sont remplies de journalistes, (...) des députés sont incarcérés», a déploré le chef du CHP, devant des milliers de personnes qui l'interrompaient à cris de «droits, loi, justice». Il a expliqué que l'incarcération du député CHP Enis Berberoglu, qui a été le déclencheur de la marche pour la justice, a été «la goutte qui a fait déborder le vase».
M. Berberoglu a été condamné à 25 ans de prison pour avoir fourni au quotidien d'opposition Cumhuriyet des informations confidentielles. Citant le poète engagé Nazim Hikmet, Kemal Kiliçdaroglu a affirmé que le thème du congrès serait: «Vivre comme un arbre seul et libre, vivre en frères comme les arbres d'une forêt».
Symbole contre symbole
Tandis que les rivalités politiques s'enflamment à deux ans des prochaines élections présidentielle et législatives, M. Erdogan tenait lui-même samedi un meeting géant à Malazgirt (est), commémorant une bataille au cours de laquelle l'armée d'un sultan seldjoukide a mis en déroute les Byzantins en 1071.
Flanqué de gardes en costumes d'époque, il a comparé la défaite des putschistes aux batailles historiques de son pays. Il a affirmé que les «organisations terroristes» contre lesquelles lutte actuellement Ankara ne sont que des «pions» entre les mains d'autres «puissances», sans pour autant préciser à qui il faisait allusion.
«Aujourd'hui, nous nous battons sur tous les fronts», a-t-il affirmé. Et de mettre en cause entre autres les partisans du prédicateur Fethullah Gülen, auxquels Ankara impute la tentative de coup d'Etat, les séparatistes kurdes et le groupe Etat islamique (EI).
Le choix de Canakkale par le CHP est lui aussi hautement symbolique puisque c'est là qu'a eu lieu la bataille de Gallipoli durant laquelle l'armée ottomane a repoussé les forces alliées au cours de la Première Guerre mondiale. Cette bataille est devenue un symbole de la résistance qui a abouti à la fondation par Mustafa Kemal Atatürk de la République turque moderne en 1923.
Le CHP, parti laïc et progressiste, a lui-même a été créé par Atatürk. Kemal Kiliçdaroglu est parfois comparé par ses partisans au Mahatma Gandhi et M. Erdogan a particulièrement peu apprécié la une d'un journal le décrivant comme «le citoyen Kemal».