EuropeL'UE déclenche une procédure contre Varsovie
L'activation de l'article 7, la première jamais lancée dans l'histoire de l'Union européenne, pourrait priver le pays de ses droits de vote.

L'article 7 du traité de l'UE n'a encore jamais été utilisé.
La Commission européenne a décidé mercredi d'engager une procédure contre la Pologne sur fond d'inquiétude pour le respect de l'Etat de droit par Varsovie. La Pologne pourrait se voir privée de ses droits de vote au niveau européen.
«La Commission a conclu aujourd'hui qu'il existe un risque clair de violation grave de l'Etat de droit en Pologne», affirme la Commission mercredi dans un communiqué. «Les réformes judiciaires en Pologne signifient que la justice du pays est désormais sous le contrôle politique de la majorité au pouvoir. En l'absence d'indépendance judiciaire, de graves questions sont soulevées quant à l'application effective du droit européen», poursuit le texte.
Le vice-président de la Commission, Frans Timmermans, a souligné que la constitutionnalité des lois ne pouvait plus être garantie aujourd'hui en Pologne. «La Commission ne conteste pas le droit de la Pologne à réformer son système judiciaire, mais elle doit le faire dans le respect de sa propre Constitution et du droit européen.» Ajoutant sa note, le président du Conseil européen, le Polonais Donald Tusk, a dit souhaiter que son pays «revienne à la raison».
Dialogue en vue ?
L'exécutif européen se tient prêt au dialogue avec Varsovie, a poursuivi l'ex-ministre néerlandais des affaires étrangères Frans Timmermans. Et d'assurer que «l'UE ne peut pas exister sans la Pologne».
Le ministère polonais des affaires étrangères a indiqué de son côté accueillir avec regret la décision de la Commission européenne. «Elle pèse inutilement sur nos relations, ce qui risque de rendre difficile la construction de la compréhension et de la confiance mutuelle entre Varsovie et Bruxelles.»
«Ils mentent»
Le président polonais Andrzej Duda a annoncé dans la foulée qu'il allait promulguer les nouvelles versions de deux des lois visées par l'UE. Il avait pourtant suscité des espoirs en opposant fin juillet un veto surprise à ces textes.
Puis il a accusé des dirigeants de l'UE de «mentir»: «Ils mentent quand ils disent que les changements en Pologne conduisent à violer les principes de l'Etat de droit, alors que nous renforçons les normes de la démocratie.»
Le premier ministre polonais Mateusz Morawiecki s'est toutefois quant à lui dit prêt à dialoguer avec la Commission européenne lors d'une réunion en janvier. Il a affirmé que la Pologne se souciait autant de l'Etat de droit que l'Union européenne et plaidé pour un dialogue »ouvert et honnête« avec Bruxelles.
Unanimité requise
Aux termes de la procédure communautaire, inédite jusque-là, les autres Etats membres de l'UE vont devoir statuer sur le dossier polonais, conformément à l'article 7 du Traité sur l'Union européenne. Dans le cas où »il existe une violation grave et persistante par un Etat membre« des valeurs fondamentales, le traité de Lisbonne prévoit la possible suspension de certains de ses droits.
Une telle décision, qui requiert l'unanimité des autres Etats membres, paraît cependant peu vraisemblable. Le premier ministre hongrois Viktor Orban a déjà fait savoir qu'il s'y opposerait.
Ce que le parti conservateur Droit et Justice (PiS), au pouvoir à Varsovie, a rappelé après avoir dénoncé une décision »politiquement motivée« de la Commission. »Cette décision n'a aucun fondement«, a déclaré la porte-parole du PiS, Beata Mazurek, citée par l'agence de presse publique PAP. Elle a aussi laissé entendre que cette décision pouvait être liée au refus de son gouvernement »d'accepter des migrants musulmans«.
Portée symbolique
Bruxelles compte cependant sur la portée symbolique du déclenchement de la procédure, qui permettrait d'impliquer tous les Etats membres dans le débat. »Il faut le faire, la France soutient totalement la Commission dans cette démarche-là«, avait déclaré mardi la ministre française des affaires européennes, Nathalie Loiseau.
«Nous n'allons pas rompre tous les ponts avec la Pologne», avait observé pour sa part le président de la Commission Jean-Claude Juncker, aussi soutenu par Berlin dans ce dossier. «On n'est pas en situation de guerre avec la Pologne. On est dans une démarche difficile et j'espère qu'au bout du compte nous arriverons à nous rapprocher.»
Bien consciente que la suspension des droits de vote reste une menace théorique, l'UE envisage déjà de nouveaux outils. L'idée circule notamment de conditionner l'accès aux fonds structurels européens au respect des valeurs et des décisions de l'UE.