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«Blue Ruin»La balade sanglante de l'homme perdu

Le très prometteur Jeremy Saulnier signe un hommage singulier aux séries B sauvages d'autrefois.

Jean-Philippe Bernard
par
Jean-Philippe Bernard

L'an passé, au Festival de Cannes, l'ouvrage a cloué au fond de leurs fauteuils les fidèles de la Quinzaine des réalisateurs. Sonnés à la sortie de la projection, ces derniers zigzaguaient sur la Croisette en humant le bon air marin pour tenter de se remettre de leur émotion. «Blue Ruin», l'obscur objet de cette valse des sens inattendue, recevait dans la foulée le Prix Fipresci, récompense visant à soutenir un cinéma de genre, risqué, original et personnel. Sous les applaudissements, le long-métrage signé Jeremy Saulnier était immédiatement comparé à «Blood Simple» des frères Coen et à «Reservoir Dogs» de Quentin Tarantino.

Un an et quelques semaines plus tard, la perle noire sort enfin dans les salles et on doit bien admettre que les prestigieuses références annoncées n'ont pas uniquement valeur d'arguments publicitaires. «Blue Ruin» témoigne lui aussi de ce sens de la mise en scène minimale à la précision diabolique qui a permis aux films précités de devenir culte. Et culte, «Blue Ruin» l'est de la première à la dernière image. Une sale bestiole, bien vicelarde, ficelée avec les cordes couramment utilisées par le «film de vengeance» tel qu'il se pratiquait dans les années 1970. L'histoire ici esquissée est celle de Dwight, un vagabond mystérieux du genre inoffensif. Rasant les murs à la façon d'un petit animal craintif, cet homme sans âge profite du jour pour s'introduire dans des résidences inhabitées afin d'y faire sa toilette. Pour le reste, Dwight vit et dort dans une bagnole délabrée (la «ruine bleue» du titre). Tout change le jour où il apprend de la bouche d'un officier de police la libération des meurtriers de ses parents. Là, Dwight se mue en justicier amateur, commence à faire couler le sang. Et même s'il se blesse en maniant le poinçon, même si, au fusil, il rate parfois sa cible à moins de 2 mètres de distance, le gars n'a pas son pareil pour offrir une mort horrible à celles et ceux qui ont, jadis, causé du tort à sa famille.

Multiples compétences

Véritable déclaration d'amour à la série B des temps anciens généreusement aspergée d'hémoglobine, «Blue Ruin» place aujourd'hui Jeremy Saulnier sur orbite. Auteur en 2007 d'un premier long-métrage mixant comédie et horreur pure («Murder Party»), ce natif de l'état de Virginie (qui sert de décor au film) ne devrait plus tarder à se faire courtiser par la grosse industrie hollywoodienne.

A voir le bonheur avec lequel il dirige des comédiens peu connus sur un plateau où l'économie de moyens semble être l'un des principaux mots d'ordre, on n'est pas certain que le jeune artiste aux multiples compétences (scénario, réalisation, photographie) soit pressé de se retrouver aux commandes d'un blockbuster imaginé par un producteur retors. Toutefois, ces jours-ci, on parle tout de même avec insistance de lui pour réaliser la seconde saison de l'ambitieuse et superbe série «True Detective». Lorsqu'on l'interroge sur le sujet, Saulnier préfère d'abord évoquer de simples fantasmes de blogueurs avant de sourire largement en expliquant que personne, et surtout pas lui, ne saurait résister à une proposition aussi alléchante. On en saura bientôt davantage sur le sujet. En attendant, c'est ici, dans cette petite heure et demie sous haute tension, que l'histoire commence.

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