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AthlétismeLa botte secrète de Lemaitre

Depuis mi-avril, le sprinter français renforce ses chevilles à l'aide d'un chausson biomécanique afin de développer un maximum de puissance. Pour approcher les talons des Jamaïcains, dès aujourd'hui en série du 200?m.

par
Gaëlle Cajeux
Christophe Lemaitre

Christophe Lemaitre

Reuters

Son tendon d'Achille est sa… force. D'une rigidité extrême, il lui permet de ne pas s'affaisser, de faire perdurer la performance jusqu'à la ligne d'arrivée. Comme un petit miracle dans les chevilles de Christophe Lemaitre. Pourtant, il n'optimise pas encore toute la puissance que son tendon lui permettrait de développer. La faute à sa faiblesse: un manque de qualités proprioceptives (perception, consciente ou non, de la position des différents membres et de leur tonus) et de musculature qui doit rigidifier l'arrière du pied pour permettre un maximum d'explosivité, cruciale au départ notamment.

Le Français est né avec une laxité au niveau arrière du pied, qui laisse son tendon d'Achille «dévier» et induit une déperdition de puissance. A l'inverse, le dieu du sprint Usain Bolt possède une structure ligamentaire très puissante qui maintient le tendon dans l'axe et permet une propulsion optimale. Depuis sa détection, le sprinter d'Aix-les-Bains a donc travaillé quotidiennement à combler cette lacune. «Un contre-la-montre s'est engagé depuis le 18 avril pour que Christophe parvienne sur la ligne de départ des JO avec des appuis sûrs, capables de le hisser sur le podium», explique Pascal Toschi, de la société Cevres Santé. Le kinésithérapeute a accompagné le champion à l'entraînement, lui montrant comment positionner idéalement ses pieds dans les starting-blocks, et lui astreignant des séries d'exercices, équipé d'un chausson biomécanique qui reproduit l'axe de déstabilisation naturel de la cheville. «La partie arrière de la cheville est un système articulé autour de l'axe de Henke. Le tendon d'Achille manifeste toute sa puissance dès lors que cette superposition d'os est correctement rigidifiée. Et cet outil permet justement de rigidifier en développant l'intelligence musculaire et, en association, d'augmenter la propulsion, explique Pascal Toschi. Christophe a une vitesse lancée exceptionnelle, mais une mise en action à améliorer. D'où les exercices quotidiens.»

Déstabilisation temporaire

Le kinésithérapeute remercie l'entraîneur du champion, Pierre Carraz, d'avoir permis cette «reprogrammation» en saison olympique. «Car elle engendre temporairement une déstabilisation. Un moment de flottement. On l'a vu au meeting de Rome. C'était la première fois que Christophe était livré à lui-même en situation de compétition. Et ça ne s'est pas bien passé, il a pris un départ «pourri». Mais lors des championnats de France ce fut déjà beaucoup mieux. Sa poussée a été efficace, il a utilisé toute sa puissance pour se propulser en avant.» Pierrot, le coach, l'affirme: «On ne risquait rien à faire ce travail, ça ne peut être qu'un plus. Il est évident que Christophe en avait besoin, depuis longtemps. C'est pour ça qu'il ne faut pas attendre des résultats immédiats. Il y en a, à mon avis, pour deux ans de boulot avant que cela paie. Si ainsi on peut gagner quelques centièmes, ce sera déjà quelque chose. Et si ça peut aussi lui éviter d'avoir mal au tendon – ça lui arrive très souvent, mais il ne le dit pas –, ce serait formidable.»

Quelque peu interloqué en découvrant la méthode proposée par son kiné, Christophe Lemaitre a rapidement constaté des progrès. «Ce travail spécifique ne va pas non plus me faire courir le 100?m en 9''70, sourit-il. Le but est surtout que je sois plus explosif dans les blocs et dans les premiers appuis, que je n'aie plus ce problème d'affaissement de la cheville pour éviter une déperdition en termes de puissance.» Il confie avoir vraiment eu cette sensation, en début de saison, que ses premiers appuis s'écroulaient, lui faisant perdre de précieux centièmes. «Je n'allais pas avoir des problèmes de départ toute ma vie, il fallait trouver des solutions. On a essayé celle-là et je vois une amélioration.»

Réglages affinés

Les mesures intermédiaires, effectuées avec le chausson biomécanique le 20 juin dernier à Aix-les-Bains, ont permis au sprinter et à son entourage «d'affiner les réglages» en vue des Jeux olympiques. «Concrètement, explique-t-il, au départ j'essaie désormais de mettre mon pied qui est dans le bloc avant vraiment plus à l'extérieur. Et j'essaie de le rigidifier pour que ça ne bouge pas lorsque je sors des blocks. Qu'il n'y ait pas de mouvement qui va vers l'intérieur, ou qui part vers l'arrière et fait un peu un temps mort dans le départ.» Dès les séries du 200?m, ce matin, Christophe Lemaitre devra réussir à suivre sa nouvelle routine, malgré la pression de la compétition «où il faut tout faire plus vite». Surtout courir.

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