Elections législativesLa France en marche par défaut
La République en marche disposera d'une majorité absolue à l'Assemblée nationale. Difficile de parler de déferlante pour autant, au vu d'une abstention jamais égalée depuis 1958.
- par
- Cléa Favre
Un peu plus d'un mois après la présidentielle qui a sorti du chapeau Emmanuel Macron, les Français ne se sont guère sentis concernés par la deuxième manche, à savoir le choix de leurs députés. Moins d'un sur deux a consenti à sacrifier quelques minutes de la journée ensoleillée d'hier pour prendre part au premier tour des législatives. Un record dans l'histoire de la Ve République. «À titre de comparaison, la participation était de 57% en 2012, de 60% en 2007 ou encore de 70% en 1981», contextualise Luc Rouban, directeur de recherche CNRS au Centre de recherches politiques de Sciences Po. «Une telle abstention aujourd'hui signifie la poursuite de la logique qui a prévalu lors de la présidentielle: une élection par défaut, sans enthousiasme.»
15% des inscrits sont en marche
De quoi relativiser le score, pourtant historique lui aussi, réalisé par La République en marche: avec 32% des voix, le mouvement, qui vivait ses premières législatives, remporterait selon les estimations entre 415 et 455 sièges sur 577. «En termes relatifs, c'est une belle victoire. Mais 30% de 50%, cela fait environ 15% des inscrits. Il ne faut pas sous-estimer le contexte de discrédit et de rejet de la classe politique dans lequel cette victoire intervient», fait remarquer le chercheur. Le défi a néanmoins été réussi pour le président de la République, Emmanuel Macron, qui va pouvoir véritablement diriger la France ces cinq prochaines années, avec une majorité absolue à l'Assemblée nationale. Un règne quasi sans partage qui comporte des risques. Le mouvement ne pourra pas invoquer le prétexte de blocages de la part des députés en cas d'échec de ses projets. «La République en marche joue gros et n'aura pas le droit à l'erreur», juge Luc Rouban.
Ce premier tour porte par ailleurs en lui les signes d'un avenir qui promet de se révéler extrêmement conflictuel. Arrivés en troisième et quatrième positions après Les Républicains (21,2%), le Front national et la France insoumise totalisent respectivement 13,9% et 10,9% des voix. Peu probable que ces deux partis parviennent à former un groupe, qui nécessite quinze députés et permet d'obtenir davantage de pouvoir, comme celui d'intervenir sur l'ordre du jour de l'Assemblée nationale. «Le mode de scrutin aux législatives donne lieu à un décalage complet avec le premier tour de la présidentielle, où la moitié des électeurs avaient choisi une formation populiste ou souverainiste. Ces Français n'auront qu'une poignée de députés pour les représenter. Il y a donc un potentiel de contestation qui ne s'exprime pas aujourd'hui.
Ce qui est très inquiétant.» Aux yeux du chercheur, cette élection aggrave la fracture souterraine entre la France jeune, diplômée, sortie des écoles de commerce, vivant en ville, et celle des ouvriers ou des employés vivant dans des zones plus rurales, qui ne s'est pas déplacée hier. Car, si le renouvellement a bien lieu au niveau des générations et du genre, on assiste en revanche à une régression au niveau de la représentation sociologique. «Les candidats d'En marche sont en très large majorité des cadres supérieurs, surtout du secteur privé», observe Luc Rouban, pour qui la nouvelle Assemblée nationale sera élitiste. Elle comptera en tout cas peu de socialistes. Le PS subit une défaite sans précédent: 10%.