Hockey sur glaceLa gestion du mercato est stupide
Genoni qui signe à Zoug dès la saison... 2019-2020. La gestion du mercato décrédibilise le produit.
- par
- Grégory Beaud

On ne va pas se mentir. Il y a presqu'un aspect réjouissant à voir, pour une fois, un club faire à Berne «le coup» d'enrôler un de ses joueurs. Habituellement, la puissante organisation de la capitale en fait sa spécialité. Leonardo Genoni, d'ailleurs, avait signé à la PostFinance Arena plus d'une année avant sa venue. Simon Bodenmann en avait fait de même. Alors oui, voir Zoug chiper un joueur au SCB plus de 12 mois avant la saison n'est pas totalement désagréable.
Mais il ne faut tout de même pas oublier la base de cette problématique pour autant. Lundi, un employé a signifié à son employeur qu'à l'expiration de son contrat, dans 12 mois, il avait déjà signé dans une entreprise concurrente. Difficilement imaginable pour un travailleur «normal», la situation en devient ubuesque lorsque les «entreprises» travaillent toutes pour un but commun: le titre de champion de Suisse.
Les clubs sont responsables
Et les clubs, qui sont les premiers à couiner lorsque les micros sont éteints, ont une très grande part de responsabilité dans cette course à la signature. Car ce sont eux – et non la ligue – qui fixent les règles du jeu. Ce sont eux qui, année après année, permettent aux joueurs de signer pour un autre club des plombes en avance. Et pourtant, la solution est là, devant leurs yeux. Mais encore faut-il être capable de s'asseoir sur des années d'immobilisme coupable. Des années de «de toute façon, on a toujours fait comme ça» ou de «comment voulez-vous réguler le marché des transferts?»
Le football y arrive pourtant. Alors oui, les règles du jeu se passent à un autre niveau que celui de la seule Super League. Mais c'est la preuve, tout de même, qu'en Suisse il est également possible d'avoir un contrôle. En voulant s'appeler «National League», le hockey suisse tente de se rapprocher de l'exemple nord-américain: la National Hockey League (NHL). Là-bas, pourtant, le mercato est réglé de manière très suisse-allemande. A la minute près. Le 1er juillet à 12h00 (heure de la Côte Est), les joueurs en fin de contrat ont l'autorisation de négocier et de signer des contrats avec l'ensemble des autres clubs de la ligue. Auparavant? Niet!
Si une organisation est prise en flagrant délit de prise de langue prématurée, elle s'expose à des pénalités. Pour un directeur sportif, saluer un joueur sous contrat est passible de sanctions. On exagère à peine. Il y a une dizaine d'années, les Toronto Maple Leafs avaient été punis financièrement. Leur entraîneur de l'époque, Ron Wilson (joueur de Kloten et Davos lorsque l'auteur de ces lignes n'était pas encore né), avait admis avoir un intérêt éventuel pour les frères Sedin de Vancouver. Problème? Le mercato n'allait ouvrir que quelques semaines plus tard.
En Suisse, c'est possible
Si un marché continental comme l'est celui de la NHL est régulable, ne venez surtout pas nous dire que la Suisse – grosso modo 241 fois plus petite que le seul Québec – est un espace ingérable. Une sorte de zone de non-droit où les dirigeants de hockey peuvent faire comme bon leur semble. Non, il «suffit» qu'une forte envie commune de changement soit émise. L'application d'un règlement, ensuite, n'est finalement plus qu'une question de volonté des différents acteurs et, évidemment, de la Ligue.
Il en va de la crédibilité du produit. Le hockey suisse vit actuellement une période d'opulence grâce, surtout, à la riche renégociation de ses droits TV avec UPC. Les 35,4 millions de francs annuels sur cinq ans mettent du beurre dans les épinards, certes, mais ils mettent aussi une pression sur les dirigeants. La gestion pain-fromage doit gentiment céder sa place à une vraie vision à long terme. Et si l'on veut avoir un tant soit peu de crédibilité aux yeux du grand public, il est nécessaire qu'un joueur ne puisse pas jouer toute une saison sous un maillot tout en sachant qu'au terme du championnat, il portera les couleurs d'un autre club.
P.S. Puisqu'on y est, il serait aussi temps que les clubs planchent sur une forme de plafond salarial. Entre la NHL et la NBA, il existe deux exemples bien distincts de gestion de l'équité sportive à travers la ligue. Cette répartition des moyens financiers apporte une plus grande compétitivité et les directeurs sportifs avec le nez creux ont un vrai avantage sur la concurrence. En Suisse, on préfèrerait être dans le bureau d'Alex Chatelain (Berne) que dans celui de Martin Steinegger (Bienne), par exemple. Mais ne rêvons pas trop. Il faut déjà essayer d'instaurer une vraie période de transferts dans le hockey suisse. Ce serait déjà pas mal.