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Dominique ALa lumière après vingt ans d'accent grave sur le «A»

Le grand bonhomme de la chanson s'aventure enfin «Vers les lueurs». Rencontre avec un quadra apaisé.

Fred Valet
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Fred Valet
Dominique A: «Je préfère largement jouer le même soir qu'Other Lives que juste après Bénabar.»

Dominique A: «Je préfère largement jouer le même soir qu'Other Lives que juste après Bénabar.»

«Je le sentais venir. Ce sont des moments assez rares, alors aujourd'hui je m'en gargarise.» Dominique A évoque le succès. Un succès populaire qu'il doit à sa toute fraîche volonté de regarder «Vers les lueurs». Un neuvième album magistral, à l'introversion perméable, dans lequel il côtoie avec élégance un quintet à vent. De l'air! Ce grand timide a enfin laissé entrer quelques rayons dans sa piaule, assumé ses mélodies élégantes et s'offre même une cartouche accrocheuse avec le single «Rendez-nous la lumière». Pour Dominique, l'avantage de conduire sans phares depuis vingt ans, c'est de n'avoir plus peur de rien quand la lumière de l'aube vient enfin lui caresser l'échine.

Une longévité exemplaire «J'ai mis du temps à comprendre que je voulais durer. Que je pouvais fabriquer une carrière. Depuis le premier album, je me suis toujours dit que c'était le dernier. Cette reconnaissance me rend heureux, même si je n'ai pas attendu vingt ans pour apprécier mon parcours.» Aujourd'hui, c'est une longévité exemplaire que la France peut enlacer le torse bombé. Une carrière encyclopédique — qu'il a d'ailleurs rééditée en intégralité en début de l'année — d'un poète à guitares qui rêvait, à 23?ans, d'avoir «Le courage des oiseaux» pour chanter dans le vent glacé. Et le givre, le bon, celui qui confine les émotions pour ne pas qu'elles nous explosent trop facilement au visage, Dominique A en a usé. Dans ses verbes exigeants, dans ses arrangements complexes.

Dans ses principes aussi. La chanson à textes, ça l'a toujours gonflé au point d'en faire une posture, parfois gorgée de zèle, mais qui le préservera de la paresse et le hissera très vite au rang de chef de fil d'une chanson française audacieuse. «Oui, j'ai beaucoup été cité à une époque, mais ça s'est tassé depuis que la relève a choisi de s'exprimer en anglais. Je ne veux pas faire vieux con, mais c'est énervant parce que tout le monde s'y met.» Bashung, Manset, Dominique A, s'ils ont tous choisi le français, se partagent un même combat: surtout ne pas sacrifier la musique sous prétexte que le sol français abrite jalousement les cadavres de Brel, de Brassens et de Ferré. «Ouais, cette fameuse table ronde nous a plombés pendant trente ans. La Terre tourne, la musique change, il faut vraiment s'affranchir de cet héritage beaucoup trop lourd.»

Deux décennies avant que le télé-crochet n'ampute ses chanteurs temporaires de leur nom de famille, c'est son prénom que Dominique Ané fait émerger très au large du paquebot colonisé par la variété; au début des années 1990, Cabrel, Voulzy, Souchon se disputent le gouvernail. Alors qu'en surface on s'époumone sur le refrain de «Foule sentimentale», dans une étrange soif d'idéal, le jeune rocker dégoupille «Fossile» dans les caves moites de l'underground parisien et dans l'indifférence populaire générale. Entre vocalises au lyrisme assumé — proche d'un Calogero à qui ont aurait offert une âme (il lui a d'ailleurs écrit des textes en 2009) — et des cavalcades soniques expérimentales, Dominique A a toujours creusé ses sillons avec une singularité farouche.

Un complexe d'infériorité Et cette indépendance artistique, qu'il affiche parfois malgré lui, n'a pour autant jamais mis son ego à l'abri des écorchures. «Quand j'ai écouté «L'imprudence» de Bashung pour la première fois, je me suis dit: «Putain, il se passe un truc énorme que je ne comprends pas.» En clair, Dominique est bouleversé par un album sublime avec lequel il se sent en total décalage. Un complexe d'infériorité dont il se débarrassera en enregistrant «Tout sera comme avant» en 2004, entouré de la même équipe, et dans lequel il dit aujourd'hui s'être «gaillardement planté».

Plus serein et «beaucoup mieux armé qu'au début», Dominique A vit très bien sa nouvelle notoriété. Et, paradoxe jubilatoire, à 43?ans, celui qui s'est toujours violemment désolidarisé de la chanson à textes en est aujourd'hui le plus vaillant représentant. La justice se rend parfois avec un grand A.

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