MaliLa missionnaire enlevée vivait seule
Kidnappée dimanche dans le nord du pays, la Suissesse Béatrice S. vivait dans le dénuement, au contact des populations. « Le Matin » a pu retracer son parcours.
- par
- Renaud Malik

Elle était la dernière chrétienne présente à Tombouctou. Béatrice S., qui avait choisi de rester dans la ville malienne tombée aux mains des rebelles salafistes, l'a payé de sa liberté. La missionnaire bâloise a été enlevée dimanche par des hommes armés, dans le quartier populaire d'Abaradjou, où elle vivait depuis des années.
La nouvelle, tombée dimanche dans la nuit, a suscité une vive émotion au Mali. La quadragénaire qui exerçait sa mission hors de toute organisation était bien connue dans la région : «Bien sûr que je connaissais Béatrice, confie Albert Karim Traoré, professeur de français au lycée de Tombouctou, aujourd'hui réfugié à Bamako. On la voyait partout distribuer des petites brochures qui parlaient de la bible.»
«Elle ne fréquentait aucune église ni mission, mais disait avoir un ministère et voulait convertir les gens», renchérit Yattara Bouya, pasteur de l'Eglise évangélique de Tombouctou. La Suissesse, ajoute-t-il, vivait en parfaite entente avec les habitants de la ville: «Elle vivait comme tout le monde, sans argent, vendant des fleurs pour vivre. Certains la prenaient pour une folle, mais la plupart des gens voyaient en elle une brave femme qui arrivait à tout supporter, la pauvreté comme le climat. Elle avait beaucoup d'amis.»
Le globe-trotteur suisse Andrea Vogel, qui a rencontré à plusieurs reprises Béatrice S., dit avoir le souvenir d'une femme absorbée par l'aide aux populations: «Elle connaissait à la perfection les habitudes des gens du pays. On la voyait soigner les enfants, raconter des histoires.» Même constat de la part du père Jean-Jacques, prêtre catholique dans la ville voisine: «Béatrice était surtout connue pour venir en aide aux familles vulnérables. Je pensais d'ailleurs que sa mission était purement humanitaire. »
Pourtant, c'est bien comme volontaire de l'Eglise méthodiste que Béatrice S. s'est installée il y a une dizaine d'années à Tombouctou, raconte le pasteur Yattara Bouya: «A l'époque, elle était avec un missionnaire allemand du nom d'André Y. C'est moi qui l'ai accueillie, elle a logé plusieurs mois chez moi. Mais, petit à petit, elle a pris ses distances avec nous, puis avec André Y. Elle ne se laissait pas faire et voulait agir à sa guise. C'est comme ça qu'elle s'est retrouvée à évangéliser toute seule.»
La situation isolée de la Bâloise a eu tôt fait de susciter des inquiétudes. «Il est certain qu'elle était très menacée, note Albert Karim Traoré. Le seule fait qu'elle était européenne et qu'elle vive seule était problématique.» «Elle était blanche, elle propageait l'évangile et c'était une femme, renchérit le pasteur Bouya. En plus, elle vivait dans le quartier d'Abaradjou, au nord de la ville. C'est aux portes du désert, et c'est toujours le premier quartier visé lorsqu'il y a des attaques.» Autant de raisons qui ont poussé les proches de Béatrice S. et les autorités consulaires à tenter de la convaincre de rentrer en Suisse. «Il y a quelques années, sa mère et son frère sont venus de Bâle pour essayer de la raisonner, sans succès, raconte Yattara Bouya. Je sais aussi que le consulat suisse s'est beaucoup inquiété de sa situation. Lundi passé, avant l'enlèvement, j'ai eu une conversation à Bamako avec une responsable du consulat, qui m'a encore demandé des nouvelles de Béatrice. Mais personne n'a jamais réussi à la convaincre de fuir la ville.» «C'est une idéaliste », soupire Andrea Vogel.