Union européenneLa Roumanie prend la barre de l'UE
En froid avec Bruxelles, la Roumanie, qui fait face à toujours plus d'eurosceptiques, prend les commandes de l'Union européenne dès janvier.

La Roumanie s connaît une cohabitation explosive entre la majorité de gauche et le président de centre-droit Klaus Iohannis.
La Roumanie, dont le gouvernement multiplie les diatribes souverainistes contre Bruxelles, prend les commandes de l'Union européenne à partir de janvier, pour un semestre qui s'annonce tumultueux. L'UE devra notamment faire face au Brexit et à la montée des eurosceptiques.
Ces derniers mois, les institutions européennes sont devenues la cible de la majorité de gauche en Roumanie, qui n'a de cesse de dénoncer une UE «inique», déniant au pays le «droit à ses propres opinions», selon les mots du chef du parti-social démocrate (PSD) au pouvoir, Liviu Dragnea.
La dégradation des relations entre Bruxelles et le gouvernement roumain intervient au plus mauvais moment: Bucarest occupera pour la première fois, à partir du 1er janvier, la présidence semestrielle de l'UE, tandis que le projet européen sera confronté en 2019 aux défis du divorce avec le Royaume-Uni, des négociations sur le prochain budget communautaire et d'élections européennes qui devraient voir progresser le camp eurosceptique.
Autorités judiciaires visées
C'est l'entêtement du PSD à vouloir imposer une vaste refonte du système judiciaire qui a exacerbé les tensions avec la Commission européenne.
«Le gouvernement PSD a commencé à faire pression sur les autorités judiciaires et anticorruption roumaines d'une manière qui rappelle ses homologues en Pologne et Hongrie», deux autres pays très critiques envers le fonctionnement de l'UE, note le chercheur Luka Oreskovic, dans une récente note du think tank European Council on Foreign Relations (ECFR).
Bruxelles a demandé l'abandon des réformes judiciaires, estimant qu'elles sapent la lutte contre la corruption, mal endémique du pays. Pour leurs détracteurs, ces mesures n'ont d'autre but que d'alléger le casier judiciaire de nombreux élus et proches du PSD, dont Liviu Dragnea, déjà condamné à de la prison avec sursis pour fraude électorale et visé par deux autres procédures.
Les sociaux-démocrates accusent les procureurs anticorruption de faire partie d'un «Etat parallèle» agissant contre le pouvoir élu.
Orban copié
Dans ce contexte, le ton populiste, voire nationaliste, du chef des sociaux-démocrates relève davantage de l'opportunisme que de l'idéologie, estime le politologue Andrei Taranu: «Il copie la rhétorique illibérale du premier ministre hongrois Viktor Orban, sans toutefois en comprendre les concepts».
Bucarest ne semble pas décidé à mettre sa critique de la justice en sourdine. Au contraire, le gouvernement de Viorica Dancila veut faire passer rapidement un décret d'amnistie, qui pourrait bénéficier aux responsables politiques ayant des démêlés avec la justice. Un tel projet marquerait le franchissement d'une ligne rouge, prévient-on de source européenne.
La Roumanie, qui «pâtit déjà d'un handicap en matière de crédibilité», devrait alors dépenser son énergie à se défendre vis-à-vis de ses partenaires au lieu de s'occuper des dossiers européens, avertit la même source. Le pays qui préside l'UE joue un rôle clef dans l'impulsion et l'organisation des discussions entre les Vingt-Huit.
Bucarest aura en outre du mal à parler d'une seule voix, alors que le pays connaît une cohabitation explosive entre la majorité de gauche et le président de centre-droit Klaus Iohannis. Ce dernier, un pro-européen convaincu, représente le pays au Conseil européen.
Un pays polarisé
La popularité du PSD, confortablement élu fin 2016, a chuté. D'importantes manifestations à Bucarest ont mobilisé depuis deux ans des milliers d'opposants, mais la majorité bénéficie d'appuis solides dans les régions défavorisées grâce aux hausses de prestations sociales décidées ces derniers mois. La Roumanie affiche un des taux de croissance les plus soutenus de l'UE, à 4,1% sur un an au troisième trimestre, après 6,9% en 2017.
La société roumaine est très «polarisée, divisée», note le politologue Radu Alexandru. Si la Roumanie est l'un des trois Etats les plus pauvres de l'UE, les écarts sont criants au sein même du pays: le produit intérieur brut (PIB) par habitant de la région de Bucarest représente environ 140% de la moyenne de l'UE, mais il atteint à peine 40% dans les régions les plus démunies du nord-est et du sud-ouest.
Les fonds européens ont généré des progrès remarquables. Ainsi, 40% des foyers en milieu rural sont aujourd'hui connectés aux réseaux d'eau courante, contre 1% à peine lors de la chute du régime communiste fin 1989. Mais poussés par les aléas de la transition, environ quatre millions de Roumains ont quitté le pays ces trente dernières années.
«Autour de moi, je ne vois que des gens tristes et des lycéens qui ne songent qu'à émigrer», constate amer Gica Bobe, un électricien de 60 ans de Turnu Magurele.