PédophilieLa sortie «satanique» du Pape agace une victime suisse
Nombre de victimes de prêtres pédophiles ont été choquées par l'interprétation que le Pape François a fait dimanche à Rome des abus qu'ils ont subi dans leur chair.
- par
- Laurent Grabet
«Ces personnes choisies par Dieu pour guider les âmes vers le salut, se laissent asservir par leur propre fragilité humaine, ou leur propre maladie, devenant ainsi un instrument de Satan.» Voilà ce qu'a dit le Pape François après la messe dominicale, devant un parterre de 190 prélats, dans le cadre du sommet inédit organisé au Vatican en fin de semaine passée et consacré aux agressions sexuelles au sein de l'Eglise catholique.
C'est avec un « mélange d'agacement, de colère et de consternation » que Jean-Marie Fürbringer a pris connaissance de cette analyse du Souverain pontife. Et ce membre du Groupe de Soutien aux personnes abusées dans une relation d'autorité religieuse (SAPEC) n'est de loin pas le seul parmi les victimes de prêtres pédophiles à réagir ainsi!
Le physicien lausannois de 56 ans se trouvait Place Saint-Pierre au Vatican lors de la «satanique sortie» papale. Comme plusieurs autres victimes, il avait fait le voyage jusqu'à Rome pour participer à une «sorte de contre-somme», organisé en marge de la réunion par l'association de victimes «End clergy abuse» (ECA). Lequel a d'ailleurs été un peu boudé par les médias italiens.
Grosse maladresse de communication?
«Cette phrase a un peu effacé les rares signaux positifs entendus dans les jours précédant et qui laissaient penser que la tolérance zéro prônée par le Pape allait enfin se traduire largement dans les faits. Je vois dans cette référence à une force maléfique extérieure, à la fois une grosse maladresse de communication et une manière, plus ou moins consciente, de déresponsabiliser les prêtres fautifs, et l'église avec», analyse Jean-Marie Fürbringer.
Pour mémoire, le Lausannois fut l'une des victimes du Père Capucin, Joël Allaz, dont certains agissements avaient été mis en lumière dans un livre choc préfacé par le Pape en 2017 («Mon Père, je vous pardonne», de Daniel Pittet, éditions Philippe Rey) et que «Le Matin» avait pu interviewer en exclusivité à l'époque.
Pour le quinquagénaire qui a tourné le dos à la foi catholique de son enfance suite aux abus qu'il a subi, ce «prêchi-prêcha pastoral» n'avait vraiment pas sa place dans ce sommet. «D'autant que ce genre de phrases lénifiantes, inspirées du catéchisme, ma rappellent celles qui nous avaient formatés enfants et mis ainsi en position de ne pouvoir dire non lorsque les mains d'un prêtre se faisaient envahissantes!»
Le Romand a aussi été mal à l'aise d'entendre le Saint-Père élargir le thème des abus sexuels sur mineurs au sein de l'église, à ceux en vigueur dans la société en général. Là encore, il y a vu une façon de diluer les responsabilités et la gravité des faits.
Une victime magnanime
Daniel Pittet ne partage pas cet avis. Pour ce fervent catholique, lui-même victime dans sa jeunesse du redoutable Père Allaz auquel il a désormais pardonné, «il serait dommage de résumer tout un sommet allant dans le bon sens à une petite phrase mal comprise». Le Fribourgeois de 59 ans est certes un peu agacé par la référence du Pape à Satan mais il n'y voit pas comme corollaire une quelconque volonté de déresponsabilisation.
Dans la vision chrétienne rappelle-t-il en substance, Satan le tentateur tente mais l'homme garde un libre arbitre lui permettant d'aller vers le mal ou non. En gros, les prêtres pédophiles auraient pu choisir de ne pas se laisser envahir totalement par leurs pulsions mais bien peu ont eu cette force.
«J'ai échangé avec le Pape voici un mois. Il est un peu cassé par tout ça, révèle Daniel Pittet. Lui est un homme lumineux habité d'une volonté d'annoncer le Christ et il se retrouve à devoir gérer toute cette m….»